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mardi 9 novembre 2010

______L’Afrique ou la poubelle à vaccins. Vous êtes industriel pharmaceutique et vous ne savez que faire de vos vaccins contre la grippe A ? Pas d’inquiétude, l’OMS se charge d’écouler vos stocks.

Un haut représentant du ministère de la Santé qui se fait piquer devant une flopée de médias pour lancer une campagne de vaccination contre la grippe A, on connaît. Sauf quand la scène se passe… au Togo, en avril, et se répète, cet été, en République centrafricaine et au Niger.

À la baguette, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui écoule les « généreux » dons de vaccins contre le virus H1N1 des laboratoires pharmaceutiques et des pays du Nord. Sur place, du côté des personnels de santé et des ONG, c’est l’incompréhension. Pourquoi vacciner dans des pays où aucun cas de H1N1 n’a été enregistré ? L’OMS rétorque qu’il peut encore y avoir un risque, surtout dans les pays africains, où les populations sont fragiles. Étrange puisque la fin de la pandémie mondiale de grippe A a été déclarée le 10 août 2010, par… l’OMS, justement !

« Ce n’est pas parce qu’aucun cas de grippe A n’a été répertorié qu’il n’y en a pas eu », explique doctement Gregory Hartl, le porte-parole de l’OMS chargé des pandémies et épidémies. Selon lui, il suffit de se fier au cas de l’Afrique du Sud, dont le système de détection passe pour être le plus performant d’Afrique : plus de 12 000 cas et 93 décès y ont été enregistrés en décembre 2009. « Le virus ne s’arrête pas aux frontières ! » Certes.

L’Institut français de veille sanitaire, qui n’a produit aucun rapport sur l’évolution du H1N1 en Afrique, estime quant à lui qu’il est « difficile d’évaluer l’épidémie dans ces pays-là ». Précisément parce qu’« on n’a pas de boule de cristal », raille un membre d’une ONG française. Et le même de poursuivre : « Faut-il, face à un ennemi invisible, vacciner sans en évaluer la pertinence et en identifier les risques ? »

Un spécialiste des vaccinations concède que ces campagnes anti- H1N1 en Afrique ne sont « pas pertinentes du tout ». D’abord parce qu’il y a effectivement d’autres priorités, comme le paludisme ou encore la grave épidémie de rougeole qui a frappé un certain nombre de pays africains à la même période. Ensuite parce que le vaccin contre le H1N1 offre une protection de courte durée comparé à d’autres vaccins. Celui contre la rougeole, par exemple, dont une monodose protège le patient pendant dix ans.

Pis, ces campagnes ont mis au pied du mur les professionnels de la santé présents sur place. Rémunération du personnel chargé d’administrer les vaccins, conditionnement et transport des doses : tout cela a un coût. Selon l’OMS, les pays donateurs ont participé à des fonds pour la mise en œuvre de la vaccination. Et puis, « quand on a des dons disponibles, il faut bien les utiliser ». Imparable.

Souvenons-nous : en janvier 2010, la polémique enfle en France autour de la surévaluation des stocks de vaccins contre le H1N1. Roselyne Bachelot se retrouve avec des millions de doses sur les bras. Au même moment, selon la direction générale de la Santé, la France commence discrètement à livrer à l’OMS son surplus de vaccins. Nombreux sont les pays à l’imiter, comme les États-Unis. Dans la foulée, les firmes pharmaceutiques font un « geste ». Le laboratoire britannique GlaxoSmithKline donne 50 millions de doses à la grande prêtresse de l’OMS, Margaret Chan. Sanofi Pasteur, Baxter et Novartis promettent également 10% de leur production. La plupart des vaccins contre le H1N1 étant périmés à la fin 2010, c’est ça ou la poubelle !

© bakchich.info : Chloé Demoulin http://www.camer.be/index1.php?art=12026&rub=13:1

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______Le rapport 2010 sur les pays les plus dangereux de la planète est sorti: Quel touriste voudrait se balader à Brazza pour y admirer des immeubles criblés de balles en plein centre-ville, une dizaine d’années après la fin d’un conflit ?

...Dans quel merde sommes nous encore fouré, et la diaspora noir...

Si on demande à un touriste Suisse ou Japonais de choisir comme lieu de vacances le Congo ou le Sénégal, il n’aura pas d’embarras. Le Sénégal avec ses belles côtes, son infrastructure hôtelière et son sens de l’hospitalité (teranga en Ouolof) sera sa destination. Car chez nous, le ki-muntu (équivalent congolais de téranga) a depuis longtemps foutu le camp.

De la même façon, les auteurs du dangereux rapport se sont demandés : "si on vous donnait le choix, iriez-vous passez vos vacances en Irak ?" La réponse négative coule de source.

"Le rapport 2010 de l’IEP (Institure for Economics and Peace) « Global Peace Index » révèle son classement des pays les plus dangereux au monde. À éviter pour les vacances…"

Le Congo qui n’est pas cité (La RDC, si) ne brille pas particulièrement pour son attraction touristique.

"L’IEP est une organisation internationale à but non lucratif et son rapport annuel « Global Peace Index » est la seule étude à « quantifier » la paix dans le monde. Pour établir ce triste classement, l’organisation s’appuie sur différents critères comme la stabilité politique du pays concerné, les relations qu’il entretient avec la communauté internationale, son niveau de violence interne et externe, mais aussi son budget militaire, sa production et ses achats d’armes… "

Autant de critères pour faire figurer le Congo en bonne place sur la liste des pays qui font peur aux paisibles touristes. La République du Congo a un budget militaire colossal. Les parents des Disparus du Beach peuvent témoigner du "niveau de violence interne" de notre pays. Tout comme les réfugiés Rdécéens installés à Brazzaville qui ne savent plus où mettre la tête depuis que la police du général Jean-François Ndenguet les harcèle nuit et jour. Ne parlons pas de journalistes qui meurent carbonisés à leur domicile (Bruno Ossébi). Parlons encore moins de la politique de la terre brûlée que le pion de Sassou, le secrétaire d’Etat Frédéric Bitsangou dit Ntoumi, pratique dans la région du Pool.

L’implacable rapport précise :

"Sans grande surprise, le pays le plus dangereux au monde en 2010 est l’Irak. Attentats, enlèvements, instabilité politique, le pays réunit malheureusement tous les critères de violence extrême. L’Irak est suivi de près par la Somalie, pays en guerre civil où l’anarchisme n’a d’égal que la terreur permanente qui y règne : attentats, exécutions, piraterie… L’Afghanistan complète ce funeste podium, pour les raisons qu’on connaît : guerre civile, attentats, enlèvements, instabilité politique chronique… Suivent ensuite le Soudan, le Pakistan et Israël. "

En matière de guerre civile, le Congo a de quoi se vanter depuis 1997, sa capitale "à feu et à sang" ne s’est jamais relevée de ses meurtrissures..

Malheureusement, il n’y a pas que le Moyen Orient et l’Afrique pour alimenter ce sinistre classement.

"Premier pays occidental à apparaître dans le « Global Peace Index », la Russie. La violence qui règne en Tchétchénie y est évidemment pour beaucoup comme la menace terroriste (liée à la situation dans le Caucase) permanente. Viennent ensuite la Géorgie (guerre civile, massacres collectifs…), le Tchad (« problème » du Darfour) et la République démocratique du Congo (guerre civile)."

Le Congo-Brazzaville avec son climat de terreur dans la région du Pool n’est pas mieux loti que la RDC qui, comble des paradoxes, abrite encore des réfugiés de chez nous dans les camps de Mbanza-Ngungu (Bas-Congo). Ironie du sort, le Congo donne également asile à des réfugiés Rdécéens dans la Likouala (Haut Congo)

Même la France

L’hexagone, pays où les tyrans noirs possèdent des biens immobiliers estimés à des milliards d’euros, pays qui tire également les ficelles de la nébuleuse françafrique n’est pas en reste.

"Dans ce classement, sachez que la France apparaît en 118ème position avec un indice très faible que (...) notre pays pourrait encore réduire s’il vendait moins d’armes. "

Avec ses parcs nationaux, son barrage d’Imboulou, son aéroport d’Ollombo, son port fluvial d’Oyo, sa Basilique Sainte-Anne, son église plus que centenaire de Linzolo (liste non exhaustive) le Congo pourrait pourtant être une terre d’accueil...

Mais les "saigneurs de guerre" qui y règnent en maître depuis le coup d’état, ne l’entendent pas de cette oreille.

Brazzaville est un cloaque ambulant au sein sein du quel tout congolais ayant une hygiène correcte est épris d’horreur à chaque pas, après une grande pluie le décors est digne de la jungle de la Sangha...

Ajoutez des cobras en guenilles un peu partout et vous avez à peu de choses près un décors digne de l’Iraq ou de l’Afghanistan. Pointe-Noire n’est pas mieux mais c’est la Pattaya du pays, des putes y remplacent les cobras mais la crasse reste la même...un paradis pour de vieux occidentaux et autres libanais bedonnants et moches qui peuvent s’y taper à moindre coût leur jouvencelles exotiques...

  • 31 octobre @ 09:57, par KébaOKoYambaMissato-Ya Libosso-Ya Mibalé #

http://www.congopage.com/?page=reaction&id_article=6649 http://www.congopage.com/Les-pays-les-plus-dangereux-au

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vendredi 5 novembre 2010

______Congo+ Aujourd'hui le congo : Denis Sassou Nguesso, ange ou demon... Et cette ignominie est l'œuvre de Denis Sassou-Nguesso, un fils du Congo, et elle a duré de longues années sans même qu'il ne s'en soucie.

En cinquante années d'existence au titre d'un pays souverain, s'il est un homme dont le Congo aurait volontiers ne jamais voulu compter parmi ses fils, c'est bien Denis Sassou-Nguesso. Cet homme dont les ravages tant criminels qu'économiques ont fini par pousser nombre d'observateurs de la vie politique congolaise à s'interroger sur sa véritable nature et sa personnalité.

Au regard de son cynisme politique et de son impassibilité devant ses multiples crimes politiques et économiques, nombreux sont en effet ceux qui se demandent si l'enfant d'Edou est un ange ou un démon. D'autres encore se demandent parfois si son goût obsessionnel du pouvoir ne cache pas au fond un gros complexe, et lui sert tout simplement à combler ses lacunes, notamment intellectuelles.

Depuis son entrée en scène dans le monde de la politique congolaise dans les années 70, son goût immodéré pour le pouvoir conditionne toute son existence et il est prêt à tout pour le conquérir, le reconquérir et le conserver. Il y met toute son énergie et ne recule devant rien, quitte à ravager tout un peuple. L'homme n'a aucune vision pour son pays, pourtant cela ne l'a pas empêché de mettre son pays à l'encan depuis plus de trois décennies dans le seul but d'assouvir sa soif du pouvoir et rien que pour le pouvoir. Pour parvenir à ses fins, ce dictateur et sanguinaire endurci a beaucoup utilisé M. Jacques Chirac comme un marchepied pour sa carrière politique. Ce dernier a mis tous ses réseaux au service de Denis Sassou-Nguesso et à ce jour, il reste son meilleur soutien en Europe.

Ce soutien de Jacques Chirac au dictateur congolais avait atteint son apogée durant la guerre civile qui a ravagé Brazzaville, en 1997. Dès le début de cette guerre, Jacques Chirac avait choisi le vainqueur. Ainsi, l'intervention de l'armée angolaise pendant cette guerre civile, laquelle a permis à Sassou-Nguesso de renverser le Président démocratiquement élu Pascal Lissouba avait été menée à la demande expresse de la France et plus exactement de son Président de l'époque, Jacques Chirac. Denis Sassou-Nguesso avait besoin d'armes et de l'intervention des troupes angolaises, Chirac, alors Président de la République française et la compagnie pétrolière ELF ont donné leur feu vert. Le procès d'ELF a montré en effet q u'en 1997 la FIBA (la banque d'ELF) a joué un rôle dans la livraison des armes qui ont permis de faire un carnage à Brazzaville.

Et on sait également que c'est à l'Elysée qu'avait été décidé le ralliement des génocidaires rwandais du « Hutu power » aux milices « Cobras » de Sassou-Nguesso. Quant aux alliés Angolais, ils n'ont pas seulement fourni des troupes bien équipées pour l'assaut final. Ils ont également offert leur port de Luanda pour réceptionner près de 200 tonnes d'armement en provenance du Brésil. Le tout expédié aux milices « Cobras » de Sassou via le Gabon.




Mais cette implication française à la demande expresse de Jacques Chirac a été aussi directe sur le terrain, une assistance militaire directe de soutien auprès des milices « Cobras » a été engagée par des militaires français dont certains avaient même été tués dans ces opérations. A vec l'accord tacite de Paris ou plus exactement de Jacques Chirac, des livraisons d'armes via l'Angola, le Gabon et le Sénégal ont permis d'équiper les milices « Cobras » de Sassou-Nguesso durant cette guerre civile. Parfois même, achats et expéditions d'armes ont eu directement la capitale française pour cadre. Et pour cause, 25 tonnes de caisses bien lourdes sont bien parties de l'aéroport du Bourget, le 4 juin 1997, transitant par Franceville, au Gabon, avant d'être livrées aux hommes de Sassou-Nguesso. Officiellement il s'agissait de tee-shirts de campagne, mais en réalité il s'agissait bien des caisses d'armes et de munitions. Ce qui prouve que Denis Sassou-Nguesso avait bel et bien préparé cette guerre atroce dans les moindres détails bien avant le 5 juin 1997. Et tous ses proches collaborateurs du Bureau de Montaigne à Paris comme Rodolphe Adada, Pierre Oba, Guy Pella ou encore Dzon Mathias, le savaient fort bien. Naturellement tout cela n'aura pas été possible sans l'aval de Jacques Chirac ; ce qui nous permet d'affirmer que l'implication personnelle de l'ami Chirac dans cette guerre civile a été plus que déterminante, depuis sa préparation jusqu'à la victoire finale de Sassou-Nguesso en octobre 1997.

On voit donc qu'à cause des ambitions démesurées d'un fils indigne, le Congo n'a fait que régresser depuis plus de trois décennies. A cause d'un seul homme donc, les milliers de Congolais ont été massacrés. Et plus grave encore, pour bénéficier du soutien de la compagnie pétrolière ELF, Sassou-Nguesso avait conclu un « deal secret » portant sur la vente du pétrole pour rembourser les achats d'armes après sa victoire (qu'il savait certaine).

Du Nord au Sud des Congolais innocents sont morts dans cette guerre (qui, comme vous venez de voir, ne visait qu'à servir les ambitions personnelles de Sassou-Nguesso), et tous les mois, lorsque notre pétrole était vendu, une partie de l'argent allait directement dans les caisses d'ELF pour rembourser les armes qui ont servi à massacrer des Congolais. Et cette ignominie est l'œuvre de Denis Sassou-Nguesso, un fils du Congo, et elle a duré de longues années sans même qu'il ne s'en soucie. Des milliers de Congolais sont morts et les survivants doivent payer les armes qui ont tué les leurs. Aujourd'hui encore il n'a jamais eu le moindre remord et continue de narguer tout le monde.




Devant un tel cynisme et une telle insolence, comment ne pas affirmer que ce natif d'Edou que d'aucuns considèrent comme un ange, ne serait au fond qu'un démon qui n'aurait d'humain que son apparence physique ?

Bienvenu MABILEMONO

S.G. du Mouvement pour l'Unité et le Développement du Congo – M.U.D.C.

http://www.congoplus.info/tribune-libre/courrier-des-lecteurs/805-denis-sassou-nguesso-ange-ou-demon-.html

Commentaires (16) dont celui-ci :

  • ...

Qu’est ce que cet article exprime de concret pour le développement de notre pays? Participe t-il à l’élaboration d’une conscience citoyenne ?

  • djobo le soir
...

quelqu'un qui aime son pays ............. ce monsieur ne raconte rien de nouveau il ne fait que revenir sur des faits qui nous rappelle une triste periode de l'histoire de notre pays et qui ne nous apporte rien de bon ou de bien je voudrais dire a ce monsieur que la population congolaise la vrai celle qui aime son pays à besoin de se tourner vers l' avenir en posant les bases d'une nouvelle mentalité, d'une nouvelle façon de faire les choses celle du travail bien accompli, de la non corruption et de l amour de la patrie entiere du nord au sud. vous dite vouloire que les choses changent mais pourtant vous etulisé votre plume pour créer la division et incité le resentiment vraiment relisé ce que vous ecrivé et posé vous la question: est ce que j'ecris est benifique pour le congo? certe que les choses vont mal mais qu'elle est votre contribution ' la critique aveugle et subjectif en denigrant tjrs le pays' ce n est pas seulement sassous qui doit changé meme si c'est peut probable mais tous les congolais ou qu'il soit doit changé. ce n est pas le doigt qui lave le visage mais la main as vous de comprendre

Eduque t-il le peuple sur le changement de mentalité ? Réclame t-il l’assainissement des finances publique ? Demande t-il plus de transparence dans la gestion pétrolière ? Exprime t-il le besoin du peuple congolais en infrastructure sanitaire et éducatif ? Franchement !!!

Maatchiv

...

La soif de développement ne doit pas occulter la vérité, ce qui fait l'histoire du Congo. De nombreuses études ont déjà montré qu'on ne peut Réellement se développer sans prendre(avoir) conscience de son histoire. Et les déviations de Sassou font et feront toujours partie de l'histoire du Congo.

Si Mabilemono veut maintenant faire de l'histoire, devenir historien de l'histoire politique du Congo, les facs sont grandements ouvertes, ils peut écrire des mémoires. En revanche, s'il veut utiliser ce lourd passé du Congo comme drain royal d'accès aux affaires politiques, un marqueur d'identification, nous, du moins moi, ne sommes pas prêts à gober ces fadaises.

Après Dzon, il s'en prends à Sassou. Qui sait ce qu'il nous réserve, ô n'exagérons rien, ce qu'il se réserve à lui même. Il faut faire de la politique autrement, devenez des esprits pour votre pays, soyez de l'or gris. Le peuple vous attend là. Laissez les historiens écrire l'histoire. L'occident ne doit pas devenir pour certain une niche pour pondre des inepties. Soyons ces congolais debout fierement partout, proclammons( bâtissons) l'union de notre nation.




le déçu

...

Pour moi, SASSOU-NGUESSO c'est l'anté-christ. Assassin, fétichiste, franc-maçon, puscthiste...Cet homme est beaucoup plus proche du DIABLE que de DIEU.

la précision

...

Pour ceux qui ne le savent pas, j'ai assisté de mes propres yeux au tournant de la guerre de 1997. En effet, à partir du 3 septembre 1997, 3 jours durant, les Cobras lancent l'assaut sur Owando (à l'époque, seule localité du nord sous contrôle du gouvernement par le biais des miliciens "Faucons" pro-Yhombi Opango en alliance avec Pascal Lissouba) pour s'emparer de l'aérodrome d'Indanga, seul aéroport en service dans une ville reliée à Brazzaville via Oyo par la route nationale n°2. A l'époque, de nombreux cobras mettent en sourdine leurs postes au front de la capitale pour s'emparer de la piste stratégique d'Owando, avec tous les massacres et les exactions de populations qui s'ensuivront. Owando aura été la ville la plus endommagée du pays après Brazzaville durant le conflit de 1997, d'autant plus que la plupart des édifices publics ou privés de cette contrée seront secoués par le pillage et le vandalisme. Bref, à partir du 10 septembre 1997, 2 à 3 avions de type transall (marque française) vont constituer le pont aérien entre Luanda et Owando pour acheminer troupes angolaises et logistique nécessaire durant environ 3 semaines peu avant l'offensive du 7 octobre 1997. Certes, la voie Franceville - Oyo via Okoyo-Ewo-Boundji a été utilisé pour transporter quelques blindés, il en demeure moins que la quasi-totalité du renfort militaire de Sassou-Nguesso est passé par Owando en 1997, car la bretelle Oboya(appelé à tort Obouya, carrefour séparant la RN2 en deux voies dont l'une menant vers Boundji et l'autre vers Owando)-Boundji-Okoyo- Franceville n'a jamais connu de vrais travaux d'aménagement et n'a encore moins été asphaltée à ce jour, la rendant donc difficilement praticable. Tandis que l'axe Owando - Brazzaville (long de 550 km) via Oyo est presque entièrement bitumé depuis 1977, et ce jusqu'à ce jour. Donc, la version très connue du renfort des cobras par Franceville est à prendre avec beaucoup de réserves.

Au bon entendeur, salut!

...etc

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mardi 2 novembre 2010

______Les Noirs du Nouveau-Monde, sujet de recherches : Qu’est-ce qu’être Noir, en France, à l’aube du vingt-et-unième siècle ?

(La singularité des protocoles d’existence est présentée ici comme un rempart contre les formes contre les formes pernicieuses, ouvertes ou cachées, de l’idéologie communautariste et de la discrimination même appelée « positive »).

Source: http://www.le-quart-est-gratuit.com/abd_yite_dtbv.html

(Édition du 14 juillet 2007, revue, corrigée & augmentée)

Par Castel JEAN,

Professeur de Philosophie

Observation : Les pages qui suivent forment le contenu d’une Conférence prévue au Lycée Moissan de Meaux (S.-&-M.) pour le mardi 09 mai 2006, veille de la Journée de la mémoire du peuple noir en France, fixée au 10 mai par le Président de la République, au début de cette année. Pour des raisons extérieures et indépendantes de ma volonté, cette conférence n’a pas pu être prononcée, comme je le souhaitais, devant les élèves des classes terminales (au moins) du lycée.



Je publie cette conférence sur mon site comme un témoignage, pour rappeler que j’étais présent, en France, ce jour-là, et qu’à mon modeste rang j’ai fait ce que le devoir m’imposait.



Le texte publié conserve certains des caractères de l’exposé oral, didactique et « pédagogique », que la conférence aurait laissé paraître le 9 mai 2006 (par exemple, les délimitations « scolaires » des parties ou les développements consacrés au mode et au modèle). La forme d’exposé attendait des questions (d’éclaircissement ou de débat). La forme écrite a augmenté le contenu initial de nécessaires transitions, explications et démonstrations de quelque ampleur, destinées à lui donner la cohérence d’une lecture.




Je commencerai en évoquant la situation singulière qui est la mienne aujourd’hui, ce soir, là, devant vous.



Dans mes activités de professeur, dans mes sorties en ville ou ailleurs, personne - par conséquent, aucun Blanc - ne m’a dit ou rappelé que je suis Noir. Pour en rester au cadre de l’enseignement, qui devrait laisser son empreinte sur cette conférence, je dois, sous forme d’aveu, commencer par la clarification suivante et dissiper toute ambiguïté : pendant vingt cinq années d’enseignement dans les lycées de France (six lycées en Normandie et en Île de France), aucun de mes élèves, aucun de mes collègues, ne m’a dit ou rappelé que je suis noir. Pour la même période, j’ai travaillé sous l’autorité de dix chefs d’établissement, aucun d’eux ne s’est adressé à moi en faisant la moindre allusion à la couleur de ma peau. Mes anciens élèves reviennent me revoir au lycée, quand d’autres m’écrivent ou m’invitent. Il est vrai aussi que je n’ai jamais vu mes élèves en « petits Blancs » ni a fortiori en « têtes blondes » mais comme des élèves tout simplement (parfois des adolescents qui avaient besoin de mon aide pour se situer ou repenser leur rapport à eux-mêmes ou à autrui, y compris à leurs parents). J’ajoute le témoignage suivant : un collègue blanc ne s’est aperçu qu’au début de ce mois de mai qu’un de ses élèves était métis. Donc ma vie d’homme et ma pratique professionnelle ne me donnent aucune matière à même penser poser publiquement la question qui nous réunit ce soir. Je n’ai pas le temps de voir des Blancs, ethniquement blancs. A supposer que je doive me résigner à voir des Blancs dans mon entourage, je ne vois tous les jours que des Blancs qui consacrent leur temps de travail (et parfois leur temps personnel et privé) à donner à des enfants noirs de France les savoirs, les savoir-faire, les savoir-vivre, bref les connaissances nécessaires à leur formation et à leur construction personnelle. L’école républicaine française ne connaît pas de race. Beaucoup de Blancs ne connaissent pas le racisme : ce sentiment leur est absolument étranger. Ils sont nombreux autour de moi, dans mon lycée. Cependant malgré les remarques qui précèdent, je me pose devant vous la question du Noir et du Blanc, deux mots qui, dans mon expérience, n’ont pas de présence ni d’existence pour ma conscience. Et plus grave encore, je me propose de chercher à y répondre devant vous.



Mais alors « Pourquoi ? », devez-vous vous demander. Pourquoi poser et répondre à une question qui ne me concerne pas ? Une question qui, en quelque sorte, ne m’est posée par personne et dont la réponse, du moins en apparence, ne conditionne pas ma vie ? Sans prétention de ma part, je répondrai à votre interrogation en rappelant qu’un astrophysicien répond à des questions qui ne décident pas de sa vie et qu’un mathématicien est loin de répondre à une question vitale quand il répond à la question : qu’est-ce qu’un angle droit ? Le mathématicien et l’astrophysicien sont mus par quelque chose qui est au fond de tout homme, quelque chose qui le dépasse et le pousse à chercher la lumière de la connaissance. Cette chose, Aristote, Kant ou Auguste Comte la nomment « l’étonnement ». La conjoncture m’étonne donc.



Avant la question « Pourquoi ? », vous vous demandez peut-être aussi : Est-il bien dans sa tête, cet homme qui vient discourir plus d’une heure sur une question qui ne le touche pas ? Oui, je vais bien. Seulement, je dois avouer que des résonances étranges parviennent jusqu’à moi et me rappellent que, d’une part, une « question noire » est posée en France, aujourd’hui, avec une certaine acuité, voire une certaine brutalité ou violence, et que, d’autre part, des débats, des réponses et des décisions politiques récentes (ou futures) ont des effets idéologiques non anodins qui m’imposent - à moi, un Noir de France - de regarder autour de moi pour voir si réellement je suis cerné par des Blancs (puisque la « question noire », dans son expression même, est posée dans ce binarisme réducteur Noir/Blanc). Il s’agit de voir comment sont les Noirs de la Cité et de quelle manière je suis moi-même noir dans la Cité. C’est obsidional : car si j’en crois certains, je suis assiégé par de méchants Blancs. C’est imaginairement obsidional : car je ne vois pas les assiégeants, puisque je vous ai dit, il y a quelques minutes, que je ne vois pas de Blancs autour de moi mais des personnes. Dans les deux cas, la psychologie clinique appelle cela un délire : le délire obsidional. Mais parviendrai-je à une terre ferme ? À la réalité qui chasse le délire ? Oui, si je m’efforce d’identifier ceux qui ont fait de moi un Noir « visible » et assiégé. Car en un sens, qui est absurde, pour que, par ce discours, je sois encore plus visible (ce que, évidemment, je ne désire point), ces Noirs grandiloquents, agitateurs manichéens, à la rhétorique subtilement sophistique, sachant parfois jouer de l’entregent, ces Noirs me forcent à rappeler toujours et partout l’habit noir que je porte depuis ma naissance jusqu’à la mort. Leur posture est illégitime. Elle trompe aussi. Au surplus, puisque je suis contraint de leur répondre, je constate que des Noirs - autoproclamés Noirs représentants des Noirs - me forcent à m’exprimer dans un binarisme raciste Blanc/Noir, à tout le moins racial, un binarisme que j’ai banni de mon vocabulaire peu après mon arrivée en France, au début de mes études en Sorbonne. Plus tard, j’entendis l’ Armstrong de Claude Nougaro, ce « soul brother » parmi les chanteurs blancs, qui immortalisa Armstrong avant sa mort. Il m’a définitivement confirmé dans ma certitude :



« Armstrong, je ne suis pas noir



Je suis blanc de peau



Armstrong, un jour, tôt ou tard



On n’est que des os



Est-ce que les tiens seront noirs ?



Ce serait rigolo



Allez Louis, alléluia



Au-delà de nos oripeaux



Noir et blanc sont ressemblants



Comme deux gouttes d’eau ».






Telle est donc la situation singulière qui est la mienne aujourd’hui : contraint au binarisme Blanc/Noir, sombrant dans un délire obsidional. J’avouerais volontiers que tout ce que je viens dire m’étonne et brouille ma perception de mon propre état. Je m’efforcerai cependant de chercher la lumière de la raison dans les eaux obscures de la configuration idéologique actuelle forgée pour le monde noir de France. Puisqu’il le faut, je porterai donc l’habit noir idéologique et redondant dont ces discours revêtent ma peau déjà noire, ces discours qui masquent provisoirement ce que je suis, ou plutôt ce que je suis devenu, indépendamment de ma couleur de peau.

Voilà l’origine intime de la question de cette conférence. Dans ce que j’ai à vous dire, voyons donc si, et pourquoi, je délire. De même, voyons si, et comment, je pourrais m’en sortir. Pour conduire cette recherche, je vous exposerai les parties suivantes, avant de conclure la conférence et de répondre à vos questions :



I) L’héritage de l’esclavage puis de la colonisation des Nègres. La mémoire dans son usage idéologique contre l’histoire.



II) La configuration idéologique actuelle dans laquelle est pensé aujourd’hui « le monde noir ».



III) Le présent et l’avenir dans leur rapport avec le passé : les nouveaux cahiers du retour au pays natal, les mots des maux nouveaux du Noir. Un déplacement idéologique remarquable.



Auparavant je voudrais m’entendre avec vous sur le sens que prendront dans cette conférence les mots idéologie et idéologique. Ils fonctionneront comme des signaux d’une illusion ou d’une manœuvre inconsciente de déplacement d’une question ou d’un problème. J’en ferai généralement dériver le sens d’un emprunt au Cours de philosophie pour scientifiques de Louis Althusser : « Une proposition idéologique est une proposition qui, tout en étant le symptôme d’une réalité différente de celle qu’elle vise, est une proposition fausse en tant qu’elle porte sur l’objet qu’elle vise » (Thèse 9 du Cours, publié sous le titre Philosophie et philosophie spontanée des savants, Maspero, Paris, 1974. Cours public hebdomadaire donné à l’E. N. S. d’Ulm l’hiver 1967-1968). L’idéologie déforme la réalité au profit d’un projet imaginaire latent ou volontairement dissimulé. Dans un sens particulier, le mot « idéologie » énonce le caractère d’une idée, d’un argument, d’une action qui traitent un problème politique réel en déformant les termes dans lesquels il est posé et en en déplaçant l’objet, sous régime d’intérêts inconscients ou de démagogie à des fins de pouvoir. Analyser une production idéologique quelconque, c’est à la fois chercher de quoi elle est le signe ou le symptôme et montrer la vérité qu’elle a détournée.

I) La question de l’héritage de l’esclavage : l’effet idéologique de la confusion de l’histoire et de la mémoire.






Le 30 janvier 2006, le Président de la République, Monsieur Jacques Chirac, au nom de la Nation française, a choisi d’inscrire dans le calendrier français la date du 10 mai comme la journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Mais la commémoration voulue par certains des idéologues noirs qui l’ont demandée est doublement borgne, peut-être triplement.



1° Les égards républicains que le citoyen doit aux représentants de la Nation ne m’interdiront pas de dire qu’à l’Assemblée nationale, le 10 mai 2001, on a fait un affront à l'histoire afin d’ériger l’autel d’une mémoire à laquelle on a confié une mission politique et idéologique d’instruire l’histoire, comme le maître instruit l’élève et comme le juge instruit un procès. Quand l’Assemblée adopta la loi Taubira, elle fit comme si « la traite des Nègres » n’avait été que la seule traite européenne. Il est scandaleux que nos députés aient travaillé en se souciant si peu des faits. Je constate qu’ils ont « allégé » le passé historique de la traite et de l’esclavage pour ériger une histoire de circonstance, qui est en réalité une mémoire cathartique, une anamnèse faite par quelques Noirs pour congédier leur douleur imaginée de la perte de l’origine. Des livres connus, qu’un lecteur de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris peut consulter, ne semblent pas avoir été le souci de nos députés. Pourtant même la station de radiodiffusion Europe 1, le 24 février 1998 - l'année même où l’Assemblée nationale enregistre le dépôt du projet de loi de Madame Christiane Taubira (22 décembre 1998) - a fait mention de ce que nos députés ignorent ou feignent d’ignorer, plus tard dans l’année, dans l’enceinte du Palais Bourbon. Jean Mayer y expliqua les faits tels qu’ils se sont passés, dans l’ordre et dans les continents où ils se sont déroulés. On aurait pu lire aussi antérieurement une note au bas d’une page de Louis Sala-Molins (1996), qui ne peut pas être considéré comme un ignorant de ce qui se passa, à l’époque, dans ce domaine : « La traite transsaharienne Je me limite à en évoquer l’existence et à rappeler que la péninsule ibérique « bénéficie » traditionnellement du marché d’esclaves noirs achetés ou razziés par les pays de la rive sud de la Méditerranée de l’autre côté du Sahara et conduits au nord du désert » (in Le Code noir ou le calvaire de Canaan, PUF, page 43. Suivent aussi, dans la note, quelques références incontournables rappelées par l’auteur). Eût-on lu ces lignes que l’on n’eût pas tronqué les faits et les actes. Massacrant l’histoire, on a voté, le 10 mai 2001, une loi qui légifère sur une seule traite négrière, l’européenne, alors qu’il en exista deux (l’arabe et l’européenne), et sur un seul esclavage des Noirs, l’européen, alors qu’il en exista trois (africain, arabe, européen) qui coexistèrent sur une même période, visée par ladite loi, laquelle date elle-même du XVe siècle seulement sa portée législative rétroactive. Eh ! Quoi ! Il n’y aurait pas eu de traite négrière avant le XVe siècle ? Et ce, quoi qu’en disent les historiens ? Vérité partielle et injustice de la loi Taubira ! Vérité partiale (il faut comprendre mensonge) aussi, puisque l’Exposé des motifs de la proposition de loi biffe la traite arabe du trait de la plume qui a écrit cette seule phrase d’un texte d’environ deux pages : « Les fils et les filles de descendants d’esclaves, dispersés en diasporas solidaires, brandissent la bulle d’Ahmed Baba, grand savant de Tombouctou, qui réfuta la malédiction de Cham dans tout l’empire songhay et condamna la traite transsaharienne initiée par des marchands maghrébins ». Nos députés n’entendirent que cela de la traite par caravane et s’en contentèrent. Ils n’eurent point le sursaut de science de saisir cette phrase au bond, de lui donner le développement événementiel qu’elle eût mérité et de rétablir l’étendue réelle de la vérité historique : ils n’entendirent pas cette phrase qui, à mi-voix, avec la réticence de l’omission voilée, avouait qu’il y a eu aussi une « traite transsaharienne ». En une autre occasion, je reprendrai et publierai le regard critique que l’on peut poser sur le fouillis idéologique de l’Exposé des motifs de la proposition de loi Taubira de 1998.



L’Assemblée nationale française, ce jour-là, a légiféré en toute partialité. Sous informés par le texte de la proposition de loi, les députés ont fait prendre à la nation une voie qui ne pouvait que conduire à certaines absurdités, dont celles que je vais évoquer dans la première partie de mon plan. Première absurdité : je constate que la loi Taubira ne me donne pas, à moi qui suis un membre génétiquement intégré au « peuple noir », le pouvoir d’objecter le délit de « crime contre l’humanité » (son article 1er) contre les descendants de ceux qui ont perpétré la traite négrière et l’esclavage avant le XVe siècle. Moi, le descendant d’esclaves et l’enfant de la diaspora négrière « solidaire », la loi Taubira me rend injuste à l’égard d’une partie de mes ancêtres noirs morts de la main infâme d’hommes d’autres couleurs de peau que la peau « caucasienne ». Si un jour, cette loi devait ouvrir droit à la « réparation » de préjudice, cette partie des Noirs tourmentés par la honte de tout esclavage, quel qu’il fût, ne pourrait pas y prétendre. Pour Madame Taubira, il y a esclavage et esclavage, il y a esclaves et esclaves ! Il est bon de le savoir. Finalement il vaut mieux avoir été esclave d’Européens, car cet esclave-là, et lui seul, est reconnu aujourd’hui, rétroactivement, par les droits nés au XXe siècle français, européen (Nuremberg), mondial (ONU). Mais prenons, au XVe ou au XVIe siècles, trois frères africains, dans la fleur de l’âge, au hasard d’une sortie dans la forêt pour la nourriture de subsistance de leur famille. Soudain, la mauvaise rencontre avec les braconniers d’hommes. Ils sont capturés, comme nous le montrent les images saisissantes du début de Racines, le film tiré de Roots, le roman d’Alex Haley. On doit m'accorder qu’à partir du XVe siècle les partages de traite au poste de triage de la chasse à l’homme faisaient qu’un des frères pouvait rester comme esclave sur place, en Afrique, pendant qu’un des deux autres voyageait par caravane vers l’Orient (et aussi al-Andalus) et que le troisième était dans la cale d’un navire en route pour l’Occident « indien ». Le 10 mai 2001, jour de l’adoption de la loi Taubira au Palais Bourbon, un pan entier de servitude a été laissé pour compte dans le décompte des esclaves de l’époque, dont certains se trouvent, par l’effet incident de cette loi, privés de la consolation post mortem d'être déclarés victimes de « crime contre l’humanité ». C’est le comble des malheurs ! Ainsi venons-nous de découvrir l’absurdité de la scandaleuse décision idéologique arbitraire d’une date inexacte de début d’un « crime contre l’humanité » et l’absurdité d’avoir fait d’un seul peuple le coupable désigné, tout aussi idéologiquement, comme la seule cause des maux du « peuple noir ». Quelle qu’en soit la victime, quelle que soit l'identité de son auteur, tout esclavage, au regard de la morale, est un crime contre l’humanité. Je ne vois pas pourquoi le droit et une loi de l’Assemblée nationale accuseraient un retard (ici malsain) sur cet impératif de la morale. La loi Taubira a tout l’air d’être « le symptôme d’une réalité différente de celle qu’elle vise ». Alors ma question est celle-ci : De quelle variante idéologique l’Assemblée nationale française était-elle animée le jour où elle a laissé passer tant d’ignorance des temps passés de l’esclavage des Noirs et a fait preuve de tant d’indulgence envers un projet de loi partial ?



Deuxième absurdité : l’absence de l’esclavage considéré en tant que fait global et chronique de l’Histoire humaine : l’esclavage est très vieux, à tout le moins le commerce d’hommes, pratiqué sous l’angle et selon les lois de l’échange économique de biens. L’humanité n’a pas attendu le XVe siècle pour pratiquer l’esclavage. La traite humaine et l’esclavage ne se réduisent pas à la seule « traite négrière transatlantique » (articles 1 et 3 de la loi Taubira). Les historiens le savent et nous en ont informés depuis longtemps, en particulier bien avant 1998, l’année du dépôt de la proposition de loi Taubira, et bien avant 2001, l'année de l’adoption de la loi par le Parlement. Quand ils écrivent sur la traite des Noirs et sur l’esclavage, Pierre Pluchon (1981), Raymond Mauny (1970), Pierre Chaunu (1979-1983), etc. - Respectivement : Les négriers (Bibliothèque de l’école des loisirs) ; Les siècles obscurs de l’Afrique noire (Fayard) ; L’expansion européenne (« Nouvelle Clio ») - tous ces historiens récapitulent toujours la chronologie des formes de l’inclusion du corps de l’être humain dans les termes et les moyens de la production et de l’échange économiques ; ils décrivent, même cursivement, son statut d’équivalent des « navettes » d'Aristote et sa valeur de marchandise. Moi-même, lorsque j’étais élève, mes professeurs d’histoire m’apprirent cela, et j’ai même pu lire dans mon édition du Cours supérieur d'histoire d’Haïti (première publication, en 1937) que « l’Espagne elle-même, alors qu’elle était sous la domination des Maures, avait pratiqué l’esclavage des Noirs ». Ce que je relève dans cette citation : « alors qu’elle était sous la domination des Maures ». Tout le monde sait que les Maures sont chassés d’Espagne progressivement, par royaumes, depuis la prise de Tolède par Alphonse VI, en 1085, jusqu’à la prise de Grenade par Isabelle la Catholique, en janvier 1492, soit au XVe siècle finissant. En 1401, au début du XVe siècle, l’Espagne était donc mauresque ! Or la loi Taubira fait partir son pouvoir (de punition) du XVe siècle. Connaît-on cependant un pouvoir maure - en l’occurrence celui de Musa, le Maghrébin (711), puis celui du califat de Damas - qui fût si faible qu’il ignorât les agissements esclavagistes de sa nation vassale ? Alors que cache cette omission du commerce arabe et musulman de l’Africain noir ?



2° Les égards républicains que le citoyen doit aux représentants de la Nation ne m'interdiront pas de dire aussi qu’à l’Assemblée nationale on a fait un autre affront à l’histoire en n’aménageant pas, dans l’Exposé des motifs de la proposition de loi Taubira ainsi que dans la lettre définitive de la loi, une place pour rendre l’hommage dû à tout ce qui était contemporain et parfois contraire à « la traite négrière transatlantique ». Il est évident que ce sont l’Europe et surtout la France qui sont visées par cette expression. Les députés, emmenés par le pathos du texte de la députée de la Guyane, ont fait comme si, à l’époque de la traite négrière européenne, tous les Européens, en tout cas, tous les Français, ne s’étaient adonnés qu’à la traite et avaient passé leur temps à mépriser les Nègres. Pourtant - et pour mémoire (puisque aujourd’hui des Noirs se repaissent, à l’envi, du mot de mémoire) - la France galante du XVIIIe siècle écouta la grande musique du Chevalier de Saint-Georges, compositeur métis des Isles, qu’on écoute de nos jours en croyant quelquefois entendre Mozart. Pendant que se pratiquaient « la traite négrière transatlantique et l’esclavage » - et avant la première abolition de l’esclavage par la Convention en 1794 - Jean-Pierre Brissot, un Blanc, fonda, en 1788, la Société des Amis des Noirs, où l’on trouva les noms d’autres Blancs prestigieux Condorcet, Lacepède, l'abbé Grégoire…. Et l’œuvre antiraciste de l’abbé Grégoire ? Qu’en a-t-on fait en 1998 et 2001 ? Je suis un des enfants noirs de l’abbé Grégoire, l’immense abbé du majestueux Serment du Jeu de Paume de Jacques Louis David. Au plus fort du commerce du « bois d'ébène », se pensait, dans la tête de cet abbé, le monde nouveau qui était en gestation dans la salle du Jeu de Paume : à la fois « la régénération des Juifs », la dignité et la liberté « des hommes de toutes les couleurs », l’universel abstrait mais réel des Droits de l'Homme et du Citoyen, la démocratie parlementaire. Les « droits de l’homme et du citoyen » sont un acte de prise de pouvoir par la théorie, une mise en conformité de la pratique avec la théorie, laquelle venait d’« apercevoir », à la manière de Rousseau, les droits naturels exhaustifs de l’homme. Si l’on m’accorde cette vue, on m’accordera aussi qu’en inventant l’Homme (universel) les lumières européennes et les Constitutionnels de 1789 ont aussi inventé l’homme noir des temps à venir, c’est-à-dire (entre autres) l'homme noir de la France du début du XXIe siècle, l’homme noir qui naît aujourd’hui, naîtra demain, pour jouir, partout, sans exception, du Préambule et des dix-sept articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Par conséquent, c’est sans aucune honte et avec reconnaissance que moi, le Noir qui vous parle cet après-midi, je dis que tout l’aujourd’hui politique du monde noir libre était dans la tête des Constitutionnels et de Grégoire, ce prêtre constitutionnel qui n’était point esclavagiste ni négrier à l’époque même où la « traite négrière transatlantique » était à son plus fort rendement. Tout homme noir d’aujourd’hui est enfant moral et politique de l’abbé Grégoire, qui sapa les fondements du racisme et de l’esclavage parce qu’il vit l’homme, son être moral, sa « constitution naturelle » (Rousseau), son état, ses droits naturels. Dans l’économie générale de son texte, la loi Taubira aurait dû trouver une place non négligeable à ces faits, à ces hommes et à leurs combats pour des idéaux qui étaient aux antipodes de l’esclavage et de la traite courante européenne des Noirs. Il n’y a pas eu qu’Ahmed Baba qui condamnât le sort fait aux esclaves noirs. Les historiens le savent et nous l’apprennent. Les députés de la Nation n’avaient pas le droit de ne pas le savoir ni de ne pas le dire. La loi Taubira aurait été juste, si elle avait tenu compte de cette connaissance, puisqu’elle aurait alors fait œuvre d’histoire sincère, véridique, et d’équité. La pensée européenne du XVIIIe siècle n’était pas que monstrueusement économique, codifiant froidement, dans le cabinet d’un Surintendant, l’usage ustensile de l’esclave, l’instrument rentable de la prospérité des terres des Indes ! Je dis donc - et je le crie très fort - qu’à l’époque de « la traite négrière transatlantique » l’esprit n’avait jamais démissionné de sa mission de penser un nouveau monde politique et d’arracher l’homme à la condition non naturelle de dominé et de serviteur maltraité. Au panthéon où gisent les grandes figures de l’esprit qui ont fait descendre de nouveau la liberté sur l’homme, je vois alors surgir les croix d’honneur humanistes de ces deux artistes géniaux que furent Beaumarchais et Mozart. L’un et l’autre instillèrent dans leurs œuvres la semence de « l’esprit révolutionnaire » réel qui voulut l’homme pour l’homme. Et voici qu’en 1775 Beaumarchais, dans Le Barbier de Séville, fit dire au valet Figaro : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? ». Le maître ne s’en tira qu’en riant ! Et voici que, dans La Flûte enchantée, Mozart (qu'attendait déjà la mort, à l’automne 1791) et son librettiste nous livrèrent ce dialogue qui annonçait les temps à venir :



« - Est-il Prince ?



- Mieux, c’est un homme ».



Artistes universels et profonds, Beaumarchais et Mozart, dans leur pensée créatrice, remirent la condition humaine à l’endroit parce qu’ils virent aussi l’homme derrière les « grandeurs d’institution » (Pascal). Or la page d’accueil d’un monde sans esclavage s’accommode mieux des « grandeurs naturelles » que des « grandeurs d'institution ». Par conséquent, je préfère toujours enseigner à mes élèves ces discours intemporels de l’esprit, chirurgiens sans mains mais accoucheurs cachés et généreux du progrès de l’action historique, plutôt que de pousser des jérémiades sans effet sur le présent. Nous savons aujourd’hui que c’est l’esprit qui allait forger l’épée qui vaincrait les forces obscurantistes et que le « tiers », par ces paroles, entrerait bientôt sur la scène de l’Histoire pour donner ce qu’en France et chez les francophones nous appelons la démocratie. Entre-temps, la pensée de Rousseau était passée par-là aussi. Une partie importante de l’Europe pensait, tout simplement, à l’époque de « la traite négrière transatlantique », posant les contours infinis de l’universel qui allait préparer les conditions philosophiques, psychologiques, juridiques et politiques des mouvements de liberté et de libération des esclaves des colonies. Des brins d’esprit humains européens jonchaient tout au long le sol inhumain européen de l’esclavage. Ils étaient certes peu nombreux mais assez forts et fermes pour changer le paysage multiséculaire de la servitude. Au début du XXIe siècle, tout le monde le sait. Quand on le sait, on doit le dire. Pour donner un exemple, non négligeable dans l’histoire de l’humanité, il faudrait même rappeler que cette pensée européenne des lumières a légitimé sans équivoque, en 1791, le soulèvement général des esclaves noirs de Saint-Domingue (plus tard se renommant Haïti). Elle l’a légitimé tant aux yeux nouvellement éclairés des esclaves noirs qu’aux yeux généreusement éclairants d’un grand nombre de Blancs, dont Polvérel, Sonthonax (à Paris puis à Saint-Domingue) et, bien sûr, les Amis des Noirs (fermement actifs à Paris). L'Assemblée Nationale et la loi Taubira auraient dû inclure dans le texte ce pan d’histoire, de pensées et de faits qui eurent lieu à l’époque où, en divers continents, l’on traitait en commerce les Noirs d’Afrique. Dire ou rendre la justice, ce n’est pas le talion mais l’équité. C’est pourquoi, même au risque de choquer ou de priver certains de leur fond de commerce idéologique courant, je dis que le Noir de France du XXIe siècle doit se sentir autant descendant de ces grandes figures européennes de la liberté que des esclaves africains de « la traite négrière transatlantique ». Ceux-ci ont reçu de celles-là l’instrument prométhéen qui devait servir à configurer les originalités historiques et culturelles qui s’appellent aujourd’hui le Brésil, Cuba ou Haïti. Car si nous n’étions aujourd’hui que des descendants d’esclaves nous n’aurions reproduit que l’état d’esclavage et serions esclaves, nous n’aurions que l’esclavage à inscrire dans l’Histoire comme trace de ce que nous avons fait du commerce triangulaire et de nous-mêmes, disons de la couleur de notre peau. Or nous ne sommes point esclaves : au Brésil, à Cuba, en Haïti, l’héritage d’esclave a été dépassé pour être ensuite librement et brillamment modifié en produits syncrétiques originaux, baroquement étranges parfois. Ce qui s’est ajouté à l’esclavage, c’est la proclamation et l’apprentissage de la liberté là où celle-ci a été élaborée dans sa quintessence opératoire universelle, c’est-à-dire dans l’Europe des « lumières ». Au plus fort de la traite, et malgré la régression signée, plus tard, par le décret de Bonaparte du 30 floréal an X (20 mai 1802), l’humanité européenne n’a pas abandonné les Noirs sur le quai de l’Histoire humaine, révolutionnaire et juste. Elle nous a éclairés et incités, nous les Noirs, à nous envelopper de l’étendard de la liberté. Par conséquent, si nos idéologues avaient voulu être justes, ils auraient dû, à l’Assemblée, restituer l’effet « ombre et cependant lumière » de cette Europe originale et inouïe qui est implicitement visée par la loi Taubira.



3° La troisième variante de l’idéologie de la commémoration porte sur la confusion de la mémoire et de l’histoire. Pour avoir été victimes de cette illusion, Christiane Taubira et d’autres ont cru, en 1998, devoir envisager la « réparation » de ce qui s’est passé entre 1503 et 1848. Comme si l’histoire avait arrêté son cours pour se figer dans les données (partielles) issues de cette période ! Comme si ces siècles de traite négrière et d'esclavage n’étaient faits que de traite négrière et d’esclavage ! Par conséquent, comme si le temps historique s’était arrêté en 1848 ou qu’une translation avait été opérée pour transposer tel quel ce passé dans le présent ! Mais le traitement critique de cette variante de l’idéologie de la commémoration, qui cache une demande de « réparation »de la traite, veut que je commence en précisant que l’Assemblée nationale, en votant le texte définitif de la loi Taubira, a fait une bonne action en délestant de l’idée de « réparation » la Proposition de loi déposée par Madame Taubira et Monsieur Jean-Marc Ayrault, et en supprimant son article 5 : « Il est instauré un comité de personnalités qualifiées chargées de déterminer le préjudice subi et d’examiner les conditions de réparation due au titre de ce crime ». L’Assemblée et la nation ont écarté cette détestable demande mais le débat qui anime aujourd’hui le monde noir n’en est pas nécessairement protégé car le fondement idéologique des arguments d’une partie des protagonistes de ce débat repose sur la confusion de la mémoire et de l’histoire ou, mieux dit, ce fondement s’alimente des poussées de représentation de l’histoire qui lui viennent du fond de la mémoire ; il connaît les soubresauts qui naissent des distorsions qu’une mémoire vive, écorchée vive, lui impose. Ce débat idéologique vit alors de passion et d’illusion, non de science et de vérité. C’est pourquoi je pourrais m’appuyer sur l’existence de cet article 5 de la Proposition de loi (1998) pour m’interroger sur la demande de « réparation » financière que l’ex-Président haïtien Jean-Bertrand Aristide s’ingénia, il y a quelques années, à tirer de calculs extravagants afin de la présenter à la France, comme on présente une note de frais. Je voudrais savoir s’il n’avait pas trouvé une connivence intellectuelle et idéologique rassurante dans le fait que, par l’indulgence de quelques députés, le mot même de « réparation » pût entrer, un jour, au Parlement français pour commencer à désigner la peine juridique que doit purger la France contemporaine citée à comparaître pour répondre des actes de l’« Ancien régime », qu’aujourd’hui réprouve pourtant la France légale et morale. Heureusement, la sagesse de l’ensemble des députés qui ont voté a eu raison de cette audace juridiquement bancale en corrigeant le texte de la proposition de loi et en en supprimant cette demande injuste, peut-être insensée. Toujours est-il que, quand on musarde trop sur les terres imaginaires d’une certaine mémoire affective, on finit par oublier les faits, l’histoire, la science. Or, relativement à notre action dans le présent, l’histoire et la mémoire se distinguent comme l’avenir se distingue du passé. En effet, quand l’homme ne s’attache qu’à la mémoire, il est, consciemment ou inconsciemment, tout entier prisonnier du passé, alors que, si l’histoire l’anime, il voit aussi l’avenir. Certes nous savons qu’il n'existe pas de lois historiques permettant de prédire l’avenir, mais en nous appuyant sur le passé étudié rationnellement et connu, c’est-à-dire classé et rangé sous le concept - ce passé que nous apprennent les cours d’histoire - notre construction du présent s’enrichit alors au moins des projets d’espérer. Connaître, c’est s’approprier : « Le « Je » est chez soi dans le monde quand il le connaît et plus encore quand il l’a saisi par le concept » (Hegel). L’effort de l’historien est de nous donner ces concepts clairs des événements du temps passé afin de nous en rendre maîtres et de nous en servir autant que possible pour penser l’avenir, à défaut de le prévoir ou de le prédire, bref de vouloir un avenir réfléchi. En revanche, ressasser la mémoire nous retient de vouloir et d’agir ; nous réagissons seulement, en nous étourdissant de souvenirs parfois facteurs d’illusion. En politique, l'usage idéologique de la mémoire est stérile. À l’occasion de la visite de Monseigneur Desmond Tutu en Haïti, Monseigneur François Gayot, archevêque de Port-au-Prince, déclarait avec justesse : « Le premier défi est celui de l’obsession du passé si nous sommes obsédés par le passé, tout effort sera vite épuisé, tout élan sera bientôt stoppé. L'inertie de la mort aura tôt fait de vaincre la vie » (Cathédrale Sainte Trinité de Port-au-Prince, le 12 février 2006). En revanche, l’usage rationnel de l’histoire est facteur de projets et fertile en actes politiques nouveaux. Plus nous pensons et connaissons l’histoire de manière critique et par le concept, plus nous comprenons ce qui s’est passé, ce qui est arrivé d’heureux ou de malheureux à nos ancêtres, et plus aussi nous pensons à nous-mêmes et à notre hic et nunc historique, commis maintenant de s’inscrire dans un devenir libre. La pensée de l’avenir - cet avenir qui, lui, est nouveau - en coule ensuite, telle une source. Alors nous nous convions à bâtir au lieu d’évoquer passionnellement le passé révolu.



Au demeurant, cette distorsion imprimée à l’histoire par la positon dominante accordée à la mémoire nous fait croire que l’actualité que nous vivons est fille « crachée » de ce passé que nous adulons, parfois dont nous rêvons. L’effet de cette illusion est alors de croire que les descendants d’esclaves sont des esclaves et que les descendants de colons esclavagistes sont aussi des colons et des esclavagistes. C’est éminemment faux ! Je vous ai dit, au début de la conférence, que je n’ai rien vu autour de moi qui ressemblât ni à des Noirs esclaves ni à des Blancs maîtres et colons. Mais pour avoir succombé à cette illusion, des idéologues du monde noir, hors de l’hémicycle, ont été conduits - troisième absurdité - à demander à la France contemporaine, aux Français du XXIe siècle, au nom de tous les Noirs, une « réparation » de la traite négrière européenne des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. C’est même cocasse, car aujourd’hui beaucoup de Français sont noirs et il faudrait leur demander d’être solidaires de leurs compatriotes blancs de l’âge baroque, par exemple, et de « réparer » ce que la France blanche a fait à des Noirs à l’époque où les Noirs ne pouvaient même pas juridiquement (à cause du Code noir) être Français. C’est absurde, comme cela arrive souvent quand les hommes raisonnent mal et se mettent en tête de proposer des solutions et de décider mais sous régime de leur bévue. Ces idéologues versent dans l’injustice, dont ils se servent, par ailleurs, pour s’installer dans un mythe de la victimisation noire et de la concurrence victimaire ou encore pour instiller chez les Blancs la mauvaise conscience. Je ne peux pas les suivre. Il me faut combattre par tous les moyens le danger de ce raisonnement imprudent. C’est ce que je compte faire, ici, par mes modestes moyens, qui sont des concepts. À la fin de cette conférence, vous devriez pouvoir juger par vous-mêmes si ceux qui aujourd’hui, en France, parlent de la « question noire » ont même posé le problème ou bien si, ayant posé le problème, ils l’ont bien ou mal posé.






II) Voyons maintenant la deuxième partie de notre plan : la configuration idéologique qui circonscrit le « monde noir » en France aujourd’hui.






A) Le monde noir français, n’étant pas en dehors du temps de l’Histoire du Monde, suit le cours de l’histoire particulière et de l’actualité politique françaises jusqu’à en épouser les formes endogènes de manifestation. C’est ainsi que le monde noir de France a aussi son « microcosme », comme on parle du microcosme parisien de la politique, du goût ou de la mode. Ce qui, entre autres, agite aujourd’hui le microcosme noir français gravite autour d’un événement qui a eu lieu le 25 novembre 2005. Ce jour-là, fut créé le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), à l’Assemblée Nationale, où les Noirs fondateurs de ce mouvement furent accueillis par Noël Mamère, député. Cet organisme ne saurait cependant faire aujourd’hui l’unanimité.



1°) La naissance du CRAN a été légitimement contestée par beaucoup, dont Patrick Karam, le président du collectif DOM : « Qu’est-ce que c’est que cette soi-disant fédération qui ne représente rien, une soixantaine de petites associations, et qui divise les gens entre Noirs et non Noirs, comme si les inégalités se limitaient à une question de pigmentation ? Qu’y a-t-il de commun entre un Africain et un Antillais ?... » (Le Nouvel Observateur, N° 2145, du 15 décembre 2005). Le microcosme noir de France est « déconnecté » du réel noir de France. Cela apparaîtra dans la suite de la conférence.



2°) On ne voit pas la cause de ce Conseil, à défaut de dire qu’on n’en voit pas la demande, car personne ne l’a réclamé. Personne parmi les Noirs de France n’en a, sous une forme ou sous une autre, exprimé publiquement le symptôme qui eût exigé qu’on le créât. Il y eut, un jour, apprend-on par la presse, une convocation via l’Internet. Une centaine de présents de l’Île de France. Puis ce fut la création, officielle et nationale, au Palais Bourbon, cœur politique de la Nation. J’ajoute que le mimétisme du nom de ce Conseil me gène, vu l’allusion à peine implicite au Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF). Non que je sois antisémite, mais pourquoi ce mimétisme langagier ? S’agit-il d’une allusion accidentelle ? Volontaire ? S’agit-il d’une provocation ? Une polémique des « mémoires » ? Doit-on y voir le rappel insidieux d’une malsaine « concurrence victimaire » ? Une contestation « noire » de la place de la shoah dans l’histoire récente européenne ? Si c’était là l’intention cachée du mimétisme que j’aperçois dans la dénomination Conseil représentatif des Associations Noires de France, je n’hésiterais pas à crier : Laissez les Juifs tranquilles !... J’eusse aimé, en tout cas, qu’en créant ce nom l’on mît l’imagination au service de la cause des Noirs. Si cause réelle il y eût vraiment ! Le CRAN a tout l’air d’être « le symptôme d’une réalité différente de celle qu’il vise ». C’est aussi un syndrome connu des microcosmes et de certaines avant-gardes que de parler au nom d’une cause imaginée et imaginaire. De l’activisme politique en naît toujours. Mais on ne va jamais loin avec l’activisme, stade suprême de l’activité dépensière d’elle-même, aveuglement prodigue, autotrophe aussi, et morbide.



3°) L’objectif du CRAN fait sérieusement débat, alors même que le CRAN s’est engendré sans débats (de type « agora » grecque) ni questions préparatoires diffusées parmi tout le monde noir de France. Par exemple, le CRAN veut « poser la question noire pour éclairer les débats sur l’état du pays » (Patrick Lozès, coprésident du CRAN, in Le Monde, 26 novembre 2005). Par exemple, on lit : « Les partis politiques doivent prendre en compte cette question noire » (Louis-Georges Tin, Libération, 27 novembre 2005). Or il reste à prouver qu’il existe, en France, une « question noire ». Et si cette question existe, il reste à examiner, de manière critique, ces deux autres questions : Qui pose cette question ? Comment est-elle posée ? C’est pourquoi, par une question insidieuse, je m’accorderai donc ici l’urgence d’une pause méthodologique : Et si la « question noire », telle qu’elle est agitée par le CRAN et ceux qui croient au CRAN, n’était qu’imagination et fiction ? En tout cas, pour être clair cet après-midi, je veux suggérer qu’avant de dire qu’il existe une « question noire » il faudrait poser et répondre à la question préalable de la réalité observable (et observée), en France, de l’objet de cette « question noire », à savoir « Qu’est-ce qu’être Noir en France aujourd’hui ? ». Je prendrai le temps de cette conférence pour le faire, c’est-à-dire enquêter. Auparavant, pour revenir, sous un autre angle, aux propos plus haut cités de Lozès et de Tin, il est utile de se demander ceci : De quelle lumière politique significative et décisive le fait de poser la « question noire » peut-il « éclairer les débats sur l’état du pays » ? Soyons sérieux, tout le monde sait bien que « l'état du pays » dépend prioritairement de paramètres et de déterminants économiques, sociaux, politiques, idéologiques, culturels, peut-être parfois psychologiques, mais certainement non génétiquement raciaux. Quiconque veut instiller du Noir (et du Blanc) comme schéma directeur du contexte politique français, s’abuse et abuse. Ainsi le microcosme noir (parisien) verse-t-il dans la démagogie, conséquence nécessaire d’une erreur de jugement portant sur les caractères propres et « l’analyse concrète d’une situation concrète » (Lénine) ainsi que sur « les impératifs de la conjoncture » (Leslie Manigat).



4°) Les moyens politiques concrets du CRAN ? On ne voit pas bien quels ils peuvent être en dehors d’actes symboliques ou d’éclats captieux de « descendants d'esclaves » au fait et en phase avec l’abondance française contemporaine, actes et éclats qui se heurteraient assez vite au cadre institutionnel et légal de la France. En tout cas, une partie de ce que demande le CRAN ne peut être réalisé que si, et seulement si, on compte les Noirs de France, si on les dénombre et les assigne à résidence identitaire pigmentaire, c’est-à-dire, en fait, si on leur promulgue un statut de couleur de peau. Or dans l’histoire récente de la France, le recensement et le « statut des Juifs » ont laissé des souvenirs sinistres parce qu’ils ont rendu aisée une partie de ce que l’on sait, à savoir « la solution finale du problème juif en Europe » (Conférence de Wannsee de janvier 1942). J'ai peur, et je ne veux pas que nous, les Noirs de France, soyons un jour recensés en tant que race. Nous sommes nombreux - Noirs et Blancs de France - à ne plus « penser race », expression qui, pour moi, est presque synonyme de « penser mal ». Des mélanocytes ne doivent pas faire loi. (Voir B, plus loin).



Le problème de la légitimité du CRAN est posé avec acuité et urgence. Je ne vois pas ce que vient faire le CRAN dans ma vie de Noir de France, qui n’est, d’abord et tous les jours, qu’une vie de citoyen français, dans laquelle je suis convié à l’exercice exigeant des droits et des devoirs du citoyen (sans couleur). Quand je lis ceci : « Où sont les grandes voix morales dans ce pays pour dénoncer les propos d’un Finkielkraut ? On ne peut pas laisser les Noirs seuls lui répondre » (Patrick Lozès, Le Monde, 26 novembre 2005), je rétorque vivement : M’avez-vous bien regardé ? Je suis assez grand pour savoir séparer le bon grain de l’ivraie dans les écrits, souvent subtils et utiles, d’Alain Finkielkraut, dont on ne saurait réduire la contribution intellectuelle, depuis une vingtaine d'années, aux seuls propos déplacés envers les Noirs de France, lus récemment dans l'interview qu’il a accordée au Ha’Aretz de Tel-Aviv, en février 2006. Pour répondre à Finkielkraut, on n’a pas besoin d’être un Noir ni d’appeler au secours « les grandes voix morales de ce pays » (sont-elles supposées seulement blanches dans la citation ?). C’est un travail de l’esprit qui, lui, n’a pas de couleur. Il suffit à l’esprit d’être éclairé. Les « voix » que je côtoie quotidiennement, qui sont morales aussi sans être « grandes », qu'elles soient blanches ou noires, ont été spontanément en mesure de « dénoncer les propos de Finkielkraut ». Beaucoup de Français de toutes les couleurs ont d’ailleurs les ressources qu’il faut pour défendre sereinement la vérité et l’honneur des Noirs de France, si ceux-ci se trouvent malmenés dans leur intégrité d’hommes et de citoyens. Je crois avoir compris, par divers témoignages, que les « Justes » de la dernière guerre mondiale ont sauvé des enfants en sauvant des enfants juifs. Ils ont sauvé des hommes en sauvant des hommes juifs. De même, des « Justes » blancs ordinaires, à l’occasion « voix morales de ce pays », savent encore défendre des hommes noirs chaque fois que l’homme, en eux, est menacé. Zola n’était pas juif. Il existe encore des Zola. Au surplus, des Noirs de France sont très nombreux qui ignorent l’existence de Finkielkraut ou celle de tel intellectuel connu de n’importe quelle couleur. C’est leur droit légitime de les ignorer. Ces Noirs, citoyens français ou étrangers de France, ont le droit de vivre sans Finkielkraut et sans être pour autant malheureux. Le CRAN ne leur sert à rien. Avec ou sans le CRAN, des Blancs et des Noirs - chacun à la place qu’il occupe dans la Cité - sauront ou ont su répondre à Alain Finkielkraut (ou à tout autre intellectuel) avec justesse et justice.



5°) Outre les problèmes posés par l’existence du CRAN, l’illusion de nos idéologues noirs se donne encore à voir quand ils parlent de leur « question noire » en supposant vraie l’hypothèse d’une unité déjà donnée du « peuple noir de France ».



D’abord c’est, de leur part, une pétition de principe : est posé vrai, dans leur discours, ce qui, en l’occurrence, est à démontrer vrai. Il est à démontrer vrai, en effet, qu’il existe une unité du « peuple noir » vivant en France. Dans La généalogie de la morale, Nietzsche nous parle du « modeste rang des formes provisoires de l’hypothèse » que, dans le domaine de la science, doivent adopter nos suppositions, nos intuitions, nos « convictions ». Mais nos idéologues, eux, prennent leurs avis singuliers pour la science, ils prennent une variable idéologique pour un théorème, une intuition emphatique pour une loi scientifique. Ce n’est pas sérieux du point de vue d’une doctrine de « la Méthode » des sciences, dont nous sommes aujourd’hui les héritiers et que nulle prétention d’étude objective ne doit nier.



Ensuite nos idéologues du microcosme noir raisonnent sur la réalité des Noirs de France en se référant consciemment ou inconsciemment au « modèle » américain. Or, du point de vue de l’histoire, les deux populations noires ne sont pas homologiques et permutables. Dans ce qu’on appelle l’Amérique, et malgré un décalage des deux arrivées sur la terre des Indiens, je parlerais volontiers, en m’accordant une légère compression du temps, d’une « coprésence » du Noir et du Blanc : le premier est arrivé de force, « traité » par le second, pour les besoins et les désirs de celui-ci, pour lui servir d’esclave. Les idéologues actuels de la « cause » noire française participent de l’illusion qui s’est formée en regardant l’Amérique où, effectivement, les Noirs sont un ensemble homogène, résultat d’un fait d’histoire : la place qu’ils ont occupée dans les moyens de production leur a donné une identité sociale et historique propre, objectivement monolithique. Nous savons que les champs de coton ont perduré là-bas au point qu’au début du XXe siècle l'Amérique pratique encore sur son sol l’esclavage des Noirs. Et la ségrégation (légale ou de fait) y a sévi aussi. Mais s’agissant des Noirs de la France métropolitaine actuelle, leur arrivée massive est postérieure à la présence très ancienne du Blanc (j’énonce là un truisme d’histoire des migrations et des peuplements) ; une arrivée surtout étirée, non forcée, volontaire en définitive, nous dirions choisie, en pensant à ceux qui sont restés en France alors qu’ils auraient pu s’installer ailleurs ou qu'ils attendent de le faire. Je dis choisie, en pensant aussi aux cohortes de Noirs qui raisonnent aujourd’hui avant de décider de prendre la route vers le « Nord » et qui, après l’abord mouvementé de l’Espagne, rejoignent clandestinement la France.



Enfin, et plus généralement, nos idéologues confondent mode et modèle. Dans le mot mode, outre que la philosophie comprend la « manière d’être d’une substance », l'étymologie latine fait entendre la juste mesure qui convient à un genre. Le mode renvoie à l’idée d’un moyen approprié. Aux élèves des classes terminales qui assistent à cette conférence, je voudrais préciser qu’un mode du syllogisme aristotélicien est défini ainsi par André Lalande : « chacune des formes que peut prendre le raisonnement syllogistique, dans les différentes figures, selon que les propositions qui le composent varient en quantité universelle ou particulière et en qualité affirmative ou négative » (in Vocabulaire technique et critique de la philosophie). Est modèle (dérivé de modulus), en revanche, l'élément dans lequel la langue latine dit ce qui mesure, tempère et donne à une chose un mouvement réglé, une harmonie. Le mode décrit un état contingent, alors que le modèle imprime un mouvement en forme de convergence nécessaire vers la métrique ordonnée à laquelle il doit donner ses règles. Le modèle régule. Le mode et le modèle se distinguent comme se distinguent la statique et la dynamique, ces deux manières d’être du genre qu'est la physique. Le modèle veut qu’un mode soit mesuré à sa convenance. Contrairement au mode enfermé dans ses limites, le modèle connote l’étalon libre. Or, à bien soumettre les textes et déclarations des idéologues du microcosme noir, on découvre qu’ils examinent le mode (une commode mesure) français de résolution de la « question noire » à travers le mode (une commode mesure) américain qu’ils érigent subrepticement ou délibérément en modèle (mesure régulatrice). En cela, ils se trompent de temps et d'histoire. Mais il faut reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls à confondre mode et modèle et qu’en général, en France, vu qu’on parle de modèle à propos de tout, on est victime de la même illusion : ce qui n’est que mode allemand est érigé sans précaution en modèle allemand, ce qui est mode suédois est érigé en modèle suédois, ce qui n’est que mode américain est, par l’effet ajouté du « rêve américain », admis à pavoiser comme un modèle (l’american way of life). Rapportés au temps et à l’histoire, les modes sont des réponses circonstancielles et circonstanciées (plus ou moins durables) à des situations données. C’est ce qui fait leur contingence : ils auraient pu ne pas être ou auraient pu être autrement qu’ils sont. Un mode est, au mieux, le moyen contingent d’un modèle. En faisant des modes des modèles, on fait passer les premiers pour nécessaires : on admet qu’ils ne pouvaient pas ne pas être ou ne pouvaient pas ne pas être tels qu’ils sont, connotant, subrepticement ou par d'amples prétendues démonstrations, une valeur d’universalité du mode modèle. On pourrait démontrer que le statut d’universalité qu’Auguste Comte donne à la loi des trois états procède de l’illusion qui nous fait quelquefois prendre un mode pour un modèle. En effet, s’il est certain que les « trois états de l’esprit » décrivent effectivement l’histoire de la pensée gréco-européenne (peuple et individu), il n’est pas certain cependant qu’ils décrivent l’histoire de « l’esprit humain » en tous lieux. Les « trois états » décrivent un mode que subrepticement Auguste Comte a vu comme un modèle. Il est vrai aussi que, sans que nous puissions pour autant en attribuer ni la paternité ni le projet à cet immense penseur, cette érection d’un mode historique déterminé en un modèle d’histoire « positive » de la pensée convenait au temps historiciste et « positiviste » des expéditions qui s’annonceraient bientôt « coloniales ». Un emprunt à Michel Foucault de son concept d’« épistémè » nous serait d’un grand secours dans cette démonstration d’une configuration idéologique où serait impliquée, au XIXe siècle, une alliance objective entre la théorie et la pratique (politique et géopolitique).



Je m’en tiendrai pour le moment à ce que la philosophie nous enseigne, à savoir que ce qui est contingent ne peut pas être nécessaire. Tout mode n’est pas un modèle, même si deux modes sont devenus modèles : ainsi des « Droits de l’Homme », ainsi de la technique scientifique moderne, deux modes « contagieux », selon le mot que j’emprunte à l’historien Henri Irénée Marrou. Mais voyons cette anomalie, cette exception de plus près. Ces deux modes sont contagieux parce que leurs contenus d’être et d’action respectifs ont quelque chose d’anhistorique. Car :



a) Des Droits de l’homme, je dirai qu’étant « naturels » ils n’ont pas d’histoire ; ils ont toujours été en l’homme. Le 26 août 1789, la France les a « déclarés » mais ils ne sont pas pour autant une propriété attachée à un mode car leurs énoncés ont voulu qu’ils ne fussent d’aucun pays : les Droits de l’Homme sont ce que tous les peuples pouvaient dire, en tout cas auraient dû déclarer depuis longtemps. Ces droits naturels ont été proclamés par des Français pour et au nom de tous les hommes, reléguant ainsi à un combat d’arrière-garde la défense et l’illustration du vécu réel de ce que les Grecs inventèrent dans l’antiquité sous le nom de démocratie. C’est ce qui en fait un modèle, c’est-à-dire le manifeste moral régulateur de toute politique qui voudrait se présenter comme juste. Mais les temps historiques réels n’étaient pas assez murs, avant 1789, pour qu’advînt plus tôt cette déclaration : c’est ce qui fait de celle-ci un mode, dont la contingence n’est cependant qu'apparente parce que ce mode est l’appel et la voix de la nécessité. Dans une salle délibérante, la contingence des mots a dit, un jour, la nécessité morale de la politique, la seule que la nature fondât. En un temps, en un lieu, un peuple s’est avancé pour déclarer ce qui, masqué par l'histoire jusque-là connue, est de tous les temps et de tous les lieux, et que l’Histoire elle-même attendait. Ainsi cette « Déclaration » échappa-t-elle à la France révolutionnaire au moment même où les propres mots des Constitutionnels de 1789 l’enveloppèrent de l’aura de la solennité et, plus tard, jusqu’à nous qui l’enveloppons du rituel de la célébration. Quand, par les premiers mots que l’on prononce, on déclare que « les hommes naissent libres et égaux en droits », on ne parle pas de soi ni, a fortiori, de soi seul ! Le mode révolutionnaire français de 1789 nomma le modèle.



b) Quant à l’objet technique, c’est par son usage qu’il n’est d’aucun pays. À tout le moins, me concédera-t-on que son usage l’arrache des mains qui le façonnèrent et de l'esprit singulier qui l’inventa un jour. Dans le Cours de philosophie positive, Auguste Comte, créateur aussi de la « physique sociale » (cette sorte de prénom comtien de la sociologie), nous fait assister à la naissance, au XIXe siècle, de la « classe sociale des ingénieurs », intermédiaire entre « les savants proprement dits et les directeurs effectifs des travaux productifs ». La finalité externe de l’usage de l’objet technique contraint l'ingénieur à concevoir le modèle alors même qu’il croit viser le mode propre de son existence hic et nunc d’objet utile. En inventant l’utile, c’est l’usage que conçoit l’ingénieur, cet usage qui voue l’objet à tous les esprits et à toutes les mains qui s’en serviront. Allez faire du racisme avec le modèle, le mode et l’usage efficient et efficace d’une machine puis dites-moi si vous y parvenez ! Il est, par conséquent, aisé de remarquer que le mode (d’emploi) de l’objet technique décrit simultanément et exactement son modèle, l’épure, qui est son essentielle condition nécessaire d’existence. Le mode d’emploi de l’objet technique décrit le modèle au sens où l’on dit, en cinématique, qu’un « mobile », un satellite artificiel, une « sphère céleste » décrivent la trajectoire déterministe de leur mouvement calculé d’avance par son équation mathématique. Fabriquer un exemplaire (un mode), c’est donner le modèle général en son usage particulier. Ici, le mode et son modèle sont confondus.



Mais il est vrai que ces modes apparents qui sont en réalité des modèles sont peu nombreux dans l’Histoire. On n’en trouve surtout pas dans l’érection innocente ou malfaisante du mode particulier de l’histoire américaine en modèle (universel, ce qui est un pléonasme), en paradigme et panacée. Qu’on nous laisse donc tranquilles avec ces importations illégitimes de prétendus « modèles » économiques, sociaux ou politiques qui ne sont que des modes, c’est-à-dire des moyens déterminés, circonscrits, limités, datés, historiquement inventés par une pragmatique politique étroite, quand bien même il s’agirait d’une nation riche qui s’est offert le luxe militaire de gagner deux guerres mondiales en moins de cinquante ans. Ainsi les Noirs de France ne doivent-ils pas regarder vers les États Unis d'Amérique pour expliquer l’état actuel de l’histoire de la France. Fodé Sylla ne doit pas dire : « Il faut laisser les gens s’exprimer, sinon il y aura en France des Farrakhan. Maintenant on en est encore à Martin Luther King » (cité dans Libération, 28 novembre 2005). Car outre que la France et l’Amérique n’ont pas la même histoire politique, l'affirmation de Fodé Sylla a un relent d’historicisme que nous croyions avoir disparu de la réflexion depuis les grands débats des années 60 inaugurés par la critique de l'historicisme et d’une certaine dialectique. À l’appui de ce que je dis, je pourrais, sans exclusive et sans sacrifier au "magister dixit", rappeler qu’entre 1960 et 1962 deux chapitres de La pensée sauvage de Lévi-Strauss - « Le temps retrouvé » (contre Auguste Comte) et « Histoire et dialectique » (contre Sartre) - et les deux grands articles d’Althusser - Sur le « jeune Marx » (1960) et surtout Contradiction et surdétermination (1962) - ont entonné et accompagné jusqu’à son point d’orgue le chant funèbre de l'historicisme. Certes ces deux auteurs ne sont pas les seuls, à l’époque, à procéder à cette destitution mais on m’accordera la clarté de Contradiction et surdétermination, par exemple, qui dégagea « l’idée fondamentale que la contradiction n’est jamais simple, mais qu’elle est toujours spécifiée par les formes et les circonstances historiques concrètes dans lesquelles elle s’exerce ». Au demeurant, non seulement il faut rappeler à Fodé Sylla que l’histoire ne se répète pas mais encore il faut lui signifier fermement que l'histoire d’une nation n’est pas un invariant de l’Histoire, ce n’est pas un témoin que les peuples se transmettent comme dans une course de relais. Considérant la seule histoire récente, que de dégâts n’ont d’ailleurs pas faits, au XXe, siècle les exportations illégitimes de prétendus « modèles » qui, à l’Ouest comme à l’Est, n’étaient en réalité que des modes spécifiques économiques, sociaux, politiques et idéologiques ! Mais nous devons finir par apprendre et accepter qu’il n’y ait pas d’hérédité des caractères acquis quand il s’agit des versants escarpés gravis avec peine par l’histoire singulière d’un peuple ou d’une nation. Que Fodé Sylla se rassure (ou commence à s’affoler de devoir orienter l’histoire de France autrement), la France « noire » de l’aube du XXIe siècle n’est pas la répétition générale de l’acte II de l’Amérique noire de 1963, laquelle n’est pas non plus l’avant-scène de la « question noire » posée par le microcosme noir français d’aujourd’hui.

Il va de soi que le « modèle » français, même « d’intégration », n’est qu’un mode et qu’il n'existe de « modèle français » de quoi que ce soit. Par conséquent, exporter hors de France ce prétendu modèle est toujours illégitime et hautement dangereux pour l’État qui l'importe. Même si, sur bien des aspects, le mode français (ou tout autre mode d’ailleurs) peut être un exemple, l’exemple n’induit pas cependant le mimétisme que rend nécessaire la position (ou l’imposition) de modèle. C’est d’ailleurs l’occasion de dire que les expressions « modèle français » et « exception française » sont logiquement contradictoires. En effet, sous le même rapport (économique, politique, social, culturel), nous ne pouvons pas dire que le même sujet (la France) est un modèle et une exception. Ce serait violer le principe de contradiction. Au surplus, tout le monde est capable de constater combien le mode français contemporain se désolidarise peu à peu du modèle lumineux qu’il était capable de déclarer le 26 août 1789 : les Droits de l’homme et du Citoyen sont trop souvent perdus de vue dans la politique de la France actuelle. Je voudrais cependant éviter le malentendu qui pourrait faire conclure à certains que je suis du « parti de l’anti-France ». J’adore la France et surtout respecte la France de 1789, celle qui, mandataire du tiers état ou, clergé autant que noblesse, ralliée à la cause du « tiers », déclara le 20 juin : «  partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ». J’admire et respecte cette France politique debout, qui eut le sursaut moral de prononcer le serment du Jeu de Paume, « serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ». Aujourd’hui nous connaissons et vivons de ces fondements. Chaque fois que je relis l’histoire de France, je ne cesse de voir dans ce serment quelque chose de grandiose, qui est la signature éternelle de cette nation dans l’Histoire, le don d’un peuple, progressivement devenu majeur politiquement, par lequel le contingent, un jour, se vêtit du nécessaire. En tant qu'homme, je sais gré à la France d’avoir pris ce jour-là sa part d’Histoire universelle. Tous les hommes doivent lui savoir gré de cet « ici et maintenant » de son passé qu’elle donna un jour à l’Histoire. Ce fut grand ! Mais force est de reconnaître que la France contemporaine, incapable de cerner sereinement ses propres problèmes de Nation et d’État, ne donne plus rien de grand au Monde hormis quelques grands écarts brillants de ballets diplomatiques. Quand un pays, même grand de son histoire millénaire exceptionnelle, s’étripe entre ses élites au-dessus du vase sans fond des petites phrases tronquées ou détournées de leur contexte par les media, son État ne peut que perdre son assise morale, manquer d’autorité, marquer le pas, perdre sa voix, y compris celle que de Gaule, récemment encore, lui fit porter au loin avec grandeur et assurance. Ne pouvant rien résoudre à l’intérieur d’elle-même, la France n’a rien à proposer aujourd’hui de solide et de grand au monde qui la regarde. C’est regrettable, et pour la France et pour moi qui aime la France, car beaucoup de peuples ont pris l’habitude d’« attendre » de la France et sont certainement bien déçus. Une grande sœur qui ne répond plus !



Revenant au mode français et au mode américain, je relèverai que, dans les années 30, pendant que l’Amérique pratiquait la ségrégation et pourchassait aux chiens dressés des Noirs apeurés et affolés dans les rues d’Alabama, de Memphis ou de quelque autre ville du Sud de ce puissant pays, la France, même colonialiste, ouvrait, elle, les portes du lycée Louis le Grand et de l’École Normale Supérieure à un homme noir de peau : Léopold Sédar Senghor, c’est lui dont il s’agit, le Noir né à Joal, au Sénégal, est reçu, à Paris, à l'agrégation de grammaire en 1935 ! Le jury d’agrégation a pourtant vu qu’il était noir, non ? Alors !... Cela fait longtemps que la France s’ouvre à ses Noirs. N’oublions pas que, plus tard, Félix Houphouët- Boigny fut nommé secrétaire d’État dans le cabinet Guy Mollet de 1956, pendant que François Mitterrand était ministre de la justice. Senghor fut secrétaire d’État à la Présidence du Conseil dans le cabinet d’Edgar Faure de 1955. Gaston Monnerville, le rigoureux « quarteron » de Guyane, sénateur siégeant au Palais du Luxembourg, Président de la Haute Assemblée, tint longtemps tête au grand de Gaulle lui-même « étant et parlant » depuis le Palais de l’Élysée, etc. Non, l’éclatante présence aujourd’hui de Colin Pauwels puis de Condoleezza Rice aux postes les plus « visibles » de l’Administration américaine ne doit pas exciter les esprits et exposer la France à la honte, supposée, de n’avoir rien fait pour le monde noir, même au plus fort de la colonisation. Alors ces paroles de Christiane Taubira m’effraient : « La plupart de la population française continue à se penser comme à l’époque de la guerre entre les Gaulois et les Francs, pense que la population française est une population blanche ». Christiane Taubira et moi ne devons pas habiter la même France ! Moi, ce que je sais, c'est que beaucoup de Blancs, de tous rangs et de tous niveaux, s’occupent de moi et de beaucoup de Noirs de France. Au premier rang de ces Blancs, se trouvent les « instits », tous les maîtres et professeurs des établissements d’instruction et d’éducation. Ces Français compatissent avec nous. Ils partagent sans réserve nos joies et nos peines. Les Français blancs que je connais voient des Français de toutes les couleurs, auxquels ils demandent simplement d’être Français, lorsqu’ils sont Français. C’est, me semble-t-il, le moins - et le plus - qu’ils leur puissent demander. Et c’est tant mieux ! C’est sain (d’esprit). Ces Français de première terre, comme on dit qu’une voiture est de première main, le font sans demander tous les jours à ces Noirs, Français de seconde terre, s’ils sont Français, espérant secrètement s’assurer, à chaque réponse négative du Noir interrogé, que « la plupart de la population française est vraiment une population blanche » et que la France est en sûreté raciale. Je ne rencontre point, à chaque coin de rue, ces Français « arriérés » dont parle madame Taubira. Je ne peux pas lui concéder son affirmation, car je ne peux pas compter ces Français qu’elle dit si nombreux à penser que la France en est encore aux Gaulois et aux Francs. Noir comme la députée de Guyane, je dis pourtant que l’une et l’autre affirmations de la citation précédente sont fausses. Je reconnais néanmoins que, pour avoir parcouru les régions de France, dont la Bretagne, par exemple, je me comporterais en brute dictatoriale, si je devais faire entrer dans la tête de la première Bretonne rencontrée que la population française qu’elle voit tous les jours n’est pas quasi entièrement blanche : en Bretagne profonde et campagnarde, les Noirs sont rares. Je ne me vois pas imposer à cette Bretonne une perception immédiate que ses sens ne peuvent former en son esprit. C'est comme si j’imposais à un Brésilien du Brésil authentique de ne pas penser que la population brésilienne est une population de footballeurs parce que, dans la ville où je vis, je vois des volleyeurs, des basketteurs, des tennismen, dont j’aurais moi-même affirmé auparavant qu’ils sont des « minorités visibles ». En voilà une logique bizarre ! En voilà une somptueuse contradiction ! Non, nous ne devons pas, nous les Noirs de France, nous promener dans le pays de Montaigne, munis d’un plateau rempli de « pensées » ( ?) nées de la seule expérience subjective, peut-être imaginaire, du fait que nous sommes nés noirs, pensées ( ?) que nous forcerions les Français blancs à forger aussi en leur conscience. En soi, et sans l’argument d’une défense contre un assujettissement de l’homme établi sur la couleur de la peau (« code noir », « ségrégation raciale », « apartheid »), une couleur de peau ne fonde aucune légitimité d’un pouvoir ou d’un privilège. Toute réclamation contraire est fallacieuse et mérite le mépris de l’indifférence ou la critique la plus virulente. Cela vaut pour le Blanc (puisque la loi Taubira en est une preuve) autant que pour le Noir. Il ne faudrait pas que les perceptions « urbaines » et partielles qu’ont quelques Noirs des Blancs qui les entourent soient si conquérantes qu’elles induisent chez une députée de la Nation un propos si excessif et presque vexant pour ceux qu’elle dit être « la plupart de la population française », cette grande part qui, à l’aube du XXIe siècle, en est encore au temps si passé des Gaulois et des Francs. En tout cas, moi, même en zone urbaine et colorée de Noirs, je n’ai pas rencontré cette quantité importante de Français qui pensent encore que « la population française est une population blanche ». Quand bien même il s’en trouverait autant pour le penser, il leur suffirait de faire la queue à un guichet de la poste (ce n’est qu’un exemple) pour voir le contraire en comptant les cartes d’identité françaises présentées par des Noirs (et des gens d’autres couleurs). Il ne faut pas qu’une rhétorique de la persuasion, esthétisée par la mise au point et les gros plans d’une caméra de télévision, s’arrange pour nous présenter les Français contemporains comme des monstres racistes et xénophobes qui tiennent dans leurs mains un pied à coulisse et mesurent constamment l’épaisseur de noir qui bariole leur pièce de tissu blanc de la francité pure. Que madame Taubira aille se promener du côté de Sarzeau ou de Locmariaquer, en Bretagne, pour constater que les rares Noirs qui y circulent ne sont pas pour autant épiés, guettés, cernés, toujours regardés en tant que quantité exogène et contaminante. Elle pourrait aussi faire un tour dans le petit village médiéval de Saint-Guilhem-le-Désert, non loin de Montpellier. Là, elle verrait que des femmes noires tiennent boutique sans que « la plupart » des Blancs du village s’étonnent de leur statut de Françaises noires ni ne réclament une perfusion urgente anti-noire. Certes il doit bien exister de tels Français, nous savons même tous qu’il en existe. Certains rassemblements politiques trois fois colorés, des discours insultants mais démocratiquement validés par la légalité institutionnelle, ou encore quelques « cups » inquiétants de stade de football illustrent assez souvent l’existence bruyante et effrayante de ces Français de la francité (de race) pure. Mais n’empêche, après toutes ces réflexions, j’achoppe sur une question : Que cache donc, en fin de compte, un discours d'une représentante de la Nation qui tend à répandre parmi les Noirs de France que « la plupart de la population française » ne veut pas ou ne peut pas les penser comme Français ? Pourquoi cette députée ne connaît-elle pas tous ces Français, nombreux, qui ignorent tout racisme ?

M’effraie aussi ce mal imaginaire de la France, appelé d’un mot par Yasmina Benguigui : « apartheid » (Chaîne de télévision Arte, 14 février 2006). Cependant, nous l'avons vu, ce n’est pas le cas : des Noirs sont partout, occupent des postes de divers degrés d’exécution et de direction. Ils ont, en France, le droit d’entreprendre librement et sont des entrepreneurs efficaces. Où est l’apartheid, là-dedans ? Où trouve-t-on, en France, un « développement séparé » des enfants, des femmes et des hommes pour cause de race ? De quelle France suis-je le citoyen ? Est-ce celle que je vois tous les jours, à l’école, au marché, dans les magasins ? Ou bien celle qu’on imagine dans les laboratoires du microcosme ? J’ai retourné la France dans tous les sens, je n’y ai rien vu qui ressemblât à un « développement séparé » institué de droit ou de fait sur la couleur de la peau. Mais il est vrai qu’en France, aujourd’hui, ce n’est pas le mot qui a une importance en soi mais la poudre aux yeux dont l’a fardé celui qui l’emploie ou le jette dans la joute des paroles inconsistantes et creuses des « débats d’idées » ( !) télévisés. Il est vrai aussi que la complaisance de la télévision accorde un fauteuil esthétique à qui veut venir débiter des billevesées sans être contredit. La désinformation des citoyens commence aussi par ces mots qui ne portent et n’apportent rien parce qu’ils résonnent du creux de leurs emplois abusifs et des coquetteries d’expression qui ne valent que le minois « invité » qui les prononce. Dans le spectacle de la représentation télévisuelle contemporaine, ce n’est pas la langue qui parle, ce n’est même pas un sujet qui parle mais « l’invité » qui, en son fauteuil, organise à son gré la transhumance cathodique du sens. C’est un corollaire du « Tout vaut tout » actuel dont l’équivalence pragmatique (logique de la pratique et des échanges) est malheureusement le « Rien ne vaut rien ». En effet, si la situation actuelle des Noirs de France est nommée par le mot « apartheid », c’est l’apartheid lui-même, en tant que fait réel de l’histoire sud-africaine qui n’a plus de signification propre et n’est plus rien dans l’Histoire humaine. Si la signification se perd dans l’abus facile de mot, c’est la chose qui alors n’existe plus : quand toute situation sociale et politique est nommée « apartheid » (pour faire peur ou parce que l’on n’a rien à dire), la réalité que fut l’apartheid n’a plus sa place dans l’épaisseur d’une histoire singulière et dans l’Histoire humaine tout court. Or je voudrais que l’on respectât ces Noirs d’Afrique du Sud qui, dans leur chair et leur amour-propre d'hommes, ont souffert le déni d’être et d’existence pour cause d’être nés noirs ou d’avoir contesté, au prix de leur vie, le « développement séparé ». Nelson Mandela mérite mieux que l’assimilation vulgaire de son sort d’avocat humilié sous l’apartheid au sort d’un avocat noir vivant aujourd’hui en France dans l’abondance des affaires traitées ou dans la dignité d’un plaidoyer écouté par des juges blancs. Puisque Yasmina Benguigui s’occupe de cinématographie, je lui conseille de voir le film Le Cri de la liberté (1987) qui évoque les événements de 1975 en Afrique du Sud (que d’ailleurs la France a longtemps « boycottée »). Elle viendra ensuite nous dire à la télévision si elle y a vu une commune mesure entre le sort fait aux Noirs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid et le mien, le sien ou celui de tout autre Noir de la France de l’aube du XXIe siècle. Au moins sur ce point précis, on m’accordera que la France du XXIe siècle n’est le sanctuaire ni de l’esclavage ni de la ségrégation ni de l’apartheid. Que Yasmina Benguigui se taise ou aille s’informer avant de pratiquer l’abus de mot, la dissolution du sens et l’indistinction des choses ! Que chaque chose reçoive son mot propre et la maison de la pensée sera bien gardée ! Voyons ! Un peu de décence dans le sentiment, madame ! Un peu de discernement, condition du passage du sentiment au jugement.



6°) Dans le même ordre de critique, abordons maintenant le grand tour de passe-passe idéologique qui consiste à faire croire que tout Noir de France, parce qu’il est de la « minorité visible », est nécessairement dominé, délaissé, déshérité à cause de sa couleur. Voire !



D’abord, il faudrait savoir si cette croyance inclut les DOM et les TOM. Que je sache, dans ces régions de France, les Noirs sont plutôt « une majorité visible ». Un Français martiniquais et noir n’est pas membre d’une « minorité visible » en Martinique. Ou bien faut-il que la France, selon les latitudes, le traite tantôt en « minorité visible », tantôt en « majorité visible » ? Tantôt encore, vu que l’idéologie du microcosme ne prise pas le grand nombre, faudrait-il que la France-en-Martinique le traitât en « majorité invisible » ? Ici encore, nous frôlons l’absurde. Il ne faut pas enterrer l’homme sous la couleur de sa peau. La couleur de la peau n’est qu’une variable de la représentation économique et sociale de l’individu, elle n’est jamais l’être.



Ensuite, il ne me semble pas que les Noirs qui sont footballeurs professionnels en France soient vraiment des dominés et des pauvres. On a rendu public (journal Le Parisien, 24/03/2006) le salaire de Bonaventure Kalou, l’avant-centre ivoirien du Paris-Saint-Germain (sans les primes de match ni les avantages directs et indirects induits par l'image publicitaire du joueur). La somme étant étourdissante, j’ai pris une calculatrice pour constater que, quelques années seulement après avoir appris à courir « balle aux pieds » sur des pelouses bien tondues, ce jeune Noir gagne en un mois ce que je gagne en cinq ans, après plus de trente ans de craie blanche et de tableau noir ! Beaucoup de Blancs sont comme moi, le Noir, financièrement inférieurs à ce Noir de France pavoisant. Quand on les compare à Kalou le Noir, on devrait conclure que ce sont beaucoup de Blancs qui sont discriminés par des Blancs (par exemple les employeurs de Kalou, qui, à ma connaissance, sont des Blancs). Or il y a beaucoup d’autres Kalou en France. On ne les trouve pas seulement dans les comptabilités du football et des autres sports spectacle mais aussi dans différents secteurs de la vie économique et sociale, qui abritent de semblables inversions de rapports sociaux des couleurs de peau. À partir de l'exemple de Kalou et de ces sports spectacle de masse, je pourrais même généraliser et dire qu'en France (je ne parle que de la France, que je connais) « gagner du fric » et vivre nettement au-dessus de la moyenne en tapant dans un ballon sont aujourd'hui indépendants de la race et du racisme. Ils n'ont, par conséquent, pas besoin de "discrimination positive". En effet, où est la « minorité visible » déshéritée, discriminée, là-dedans ? Où est la domination dont sont victimes les seuls Noirs de France parce qu’ils sont noirs ? Vous le voyez comme moi, la « question noire » de France est plutôt une affaire de sable mouvant économique et social. Les lignes de partage socio-économiques bougent sans forcément tenir compte des couleurs de peau. Quiconque n’a pas l’honnêteté de l’avouer embrasse la pure idéologie ou la démagogie de bas étage et fort facile ! Son jugement est dévié de son objet parce qu’il porte sur autre chose que l’objet qu’il vise.



Enfin, il existe aussi et surtout ce qui est sous-jacent à cette idéologie qui généralise la discrimination des Noirs de France, à savoir l’absence de la conquête des media par les Noirs, principalement celle de la télévision : des Noirs veulent que des Noirs soient « vus à la télé », à défaut d’y être eux-mêmes vus, croyant, par cette solution du spectacle, résoudre la « question noire ». Mais que peut-on en penser ? Il est vrai qu’on voit peu de Noirs à la télévision, cet « autre monde », fort obscur et opaque, fait d’autres règles qui échappent d’ailleurs à toute considération sur la couleur de la peau. Les valeurs de la télévision dérogent d’elles-mêmes aux valeurs morales et économiques auxquelles nous sommes (Noirs ou Blancs) habitués par les règles communes et publiques de la vie de la Cité. Mais les Noirs de France ne peuvent-ils pas vivre heureux sans faire une fixation sur la couleur de peau de l’image qui occupe ce si médiocre espace de liberté de pensée qu’est le « petit écran » ? Au demeurant, à propos de cette exigence de Noirs télévisés, il faudrait s’assurer que nous ne naviguons pas dans la marge qui sépare le désir du besoin et dans cette autre marge qui arrache le désir lui-même à sa scène naissante et qui provoque sa démultiplication à l’infini : parce qu’il est subjectif, le désir n’a pas de limite et est relatif. Là où j’estime qu’il n’y a plus lieu de désirer, un autre peut, poussé par le désir lui-même, désirer plus, par exemple, réclamer sa part imaginaire d’un gâteau (télévisuel) imaginaire. Désirer la « télé » n’est pas une poussée de la structure mais de la superstructure. Comment alors avoir la preuve que ce n’est pas un tout petit nombre de Noirs de France qui désire être vu sur le « petit écran » et que cette aspiration à être absorbé par la télévision n’est pas le désir d’une minorité de la minorité « visible » noire de France ? Il est vrai aussi que, tout compte fait, nous n’en sommes qu’à la première génération de Noirs activement et durablement installés en France et que les Noirs n’ont pas encore l’entregent qu’il faut pour entrer massivement dans les studios de la télévision. Mais on pourra afficher autant de Noirs « visibles » que l’on voudra à la télévision, on ne pourra cependant pas faire que des Noirs de France ne soient plus discriminés, à cause de leur couleur, devant le logement, devant la présentation à « l'entretien d’embauche », à l’entrée des discothèques. Ici, l’écueil s’appelle le racisme, que, par sa genèse dans les consciences, par son enracinement dans le magma insaisissable des préjugés, les lois de la Cité ne peuvent éradiquer, ce qui ne signifie nullement que le « donnant donnant » des différences collectives ou personnelles ne puisse contrecarrer les effets des formes variées et sournoises du racisme. Le CRAN, dans la ville, et des Noirs « à la télé » ne seront d’aucun secours contre les sources primitives du racisme ou les sas cachés que celui-ci sait emprunter pour nuire. Déléguer des Noirs à la télévision n’a pas plus de portée que de lire un conte de fée aux enfants. Toutes les petites filles qui ont lu Blanche Neige ou qui ont vu Blanche Neige et les sept nains ne sont pas et ne deviennent pas Blanche Neige, « la plus belle de toutes ». Du reste, si la « distanciation » (qu’on lise Brecht) est la marque de l’artifice de l’art, la représentation esthétique (fable, conte, théâtre, opéra ou film) de Blanche Neige ne doit être, pour le lecteur, l’auditeur ou le spectateur, que représentation. Par conséquent, la télévision étant un spectacle, la distanciation doit valoir aussi pour la représentation qu’on y donne(ra) du Noir. D’où il résulte que le Noir, bien installé dans son canapé pour regarder « la télé », doit savoir qu’il n’est pas « le Noir montré ». Toute autre perception qu’il aura de sa place sera erronée et le vouera à la déception la plus destructrice, lorsqu’il constatera l’écart permanent et abyssal qui le sépare du Noir qui est sur la scène « médiatique ». À supposer même qu’« être vu à la télé » soit une solution du problème noir, tout le monde doit être capable de déduire que tous les Noirs ne seront jamais vus à la télévision. Donc… Non, l’image adoucie et imaginaire du Noir montré ne peut pas résoudre le problème posé par la prégnance du racisme, qui est cruellement présent. Quelques Noirs montrés à la télévision ne feront pas le printemps de la solution politique et sociale des Noirs de France. Sous ses formes multiples, l’écueil du racisme résiste sournoisement à la dérisoire mise en scène factice du Noir dans le « petit écran ». Pour le contourner, il faut autre chose que la monstration esthétique de quelques Noirs même beaux et télégéniques.



B) Pour continuer l’étude de la configuration idéologique qui enserre la « minorité noire » de France, j’ai quelques mots à ajouter. C’est à propos de l’un des membres fondateurs du CRAN : Louis-Georges Tin. J’ai écouté, au mois de janvier 2006, ses interventions à une émission d’Arte, la chaîne de télévision franco-allemande, à l’occasion d’un théma : « Y a-t-il une question noire ? ». J’ai lu aussi un de ses textes : « Êtes-vous communautaristes ? Quelques réflexions sur la rhétorique « anti-communautaire » », ainsi que des interviews. Sa prestation sur Arte m’a forcé à formuler les remarques générales et les questions suivantes.



1°) Louis-Georges Tin ment par omission : il a oublié de dire qu’il est passé par la seule voie qui sauve en France (quand on n’est pas héritier ou rentier), à savoir le travail, en tout cas, si l’on se limite aux actions ordinaires des citoyens honnêtes et probes. Louis-Georges Tin a eu, en effet, un parcours élogieux et fulgurant, celui de la construction de soi par le travail, la sueur, la privation. Lui, le Noir, qui s’en prend à la France de la discrimination de la « minorité noire », a une carte de visite qui ferait pâlir une foule de Blancs de tous âges et de toutes conditions. Sous la plume de Sophie des Déserts, le Nouvel Observateur du 15 décembre 2005 nous apprend de lui que « Sa peau de Martiniquais lui a fait, elle, la vie la plus douce : enfance studieuse de fils de profs à Rivière-Salée, mention très bien au bac, départ pour la métropole à 17 ans… Hypokhâgne à Henri IV, Normale Sup, Louis-Georges Tin, professeur agrégé, spécialiste de la Renaissance ». La France étant ce qu’elle est par ses institutions et ses lois, Louis-Georges Tin a réussi le parcours scolaire et universitaire « de rêve » que la Nation, honorant le mérite depuis Condorcet et l’abbé Grégoire, propose aux enfants de toutes les couleurs qui sont capables d’en assumer les difficultés de tous ordres. Son état de Français est ainsi fait que, par ses diplômes et ses titres, toutes les portes de France lui sont aujourd’hui ouvertes. Même les portes de l’étranger, puisqu’il est professeur associé d’une université britannique. Avec ou malgré sa couleur de peau, dont il semble dire qu’elle est un malheur du Noir de France, dès qu’il montre sa « carte de visite » de Français peu banal, il occupera une position dominante (qu’il ne doit qu’à lui-même) et dominera un nombre considérable de Blancs (et de Noirs). J’aimerais savoir quel Blanc lui a barré la route pour délit de race, quelle discrimination l’a ségrégué… Je ne serais pas étonné qu’un jour il soit nommé, en tant que « personnalité qualifiée » ( ?), membre de telle Commission nationale dédiée au sort du « monde noir » en France ou dans le monde. J’aimerais savoir aussi quel Blanc, après avoir reconnu le malheur de la race noire, après avoir pris en pitié les déficiences de race de ce Noir, a proposé qu’on l’aidât par une « discrimination positive ».



Nous en sommes là : parce qu’il a « payé de sa personne », Louis-Georges Tin a et est. Il le sait, et sait, par conséquent, très bien qu’en France le talent, le mérite et le travail sont trans-raciaux au regard de la coutume, de la loi et de l’éthique qui orientent cet État laïque qui n’est plus d’« ancien régime ». Cet homme est assez instruit pour s’apercevoir de lui-même que ce qu’il appelle « la question noire » n’a jamais existé pour lui, qui est pourtant un Noir. Néanmoins il a osé dire : « je constate que la France n’est guère prête à aider les populations noires qui sont pourtant largement discriminées » (Interview au Journal Internet Le Mague). Comment un homme de ce niveau intellectuel peut-il, sans arrière-pensée, dire cela, alors même qu’il est le contre exemple de ce qu’il affirme ? Relevant cette étonnante contradiction entre ses savoirs de Noir bien formé, qui lui viennent de l’école de France, et ses paroles, qui nient que la France soit « prête à aider les populations noires », je suis poussé à me demander qui parle réellement en lui quand il tient de pareils propos. Là encore, je crois pouvoir conclure que son projet d’intervenir dans ce qu’il appelle « la question noire » a tout l’air de « porter sur une réalité différente de celle qu’elle vise ». Son intervention est idéologique car elle porte sur un monde noir qu'elle imagine.



2°) Pour réaliser ses projets, Louis-Georges Tin veut que la République française reconnaisse officiellement l’existence d’hommes définis par leur couleur de peau. Mais à l'écouter discourir sur l’état qu’il veut pour les Noirs de France, je remarque surtout qu’il est un moussant déverseur de paralogismes et de sophismes. Il dit : «  il y a des traditions antiracistes qui disent : il n’y a pas de races - tout le monde est d’accord - donc pas de Noirs et, par conséquent, pas de problème noir non plus ». Il fait croire qu’en déclarant que des Noirs vivent en France on se donnera les moyens d’y résoudre le « problème noir ». Il fait croire aussi que la « question noire » est due au fait que les Noirs ne sont pas recensés et que, par conséquent, cette « question » ne peut recevoir une réponse satisfaisante que si on compte les Noirs. Je vais essayer de voir ce qu’il en est, en soumettant sa démonstration à une enquête de logique.



La citation précédente est un paralogisme, le plus pernicieux, que je vais commenter et pousser à ses ultimes implications.



a) Que Louis-Georges Tin aille (re)voir durant combien de siècles - aux colonies - la connaissance de l’effectif des Noirs vivant légalement sur le sol d’un État a maintenu ceux-ci dans l’esclavage et, plus tard - aux USA - combien elle a rendu facile et ignominieuse la ségrégation raciale. Un exemple ne vaut pas argument mais il peut, en attendant, valoir contre-exemple et servir à retenir certains Noirs de dire des paroles creuses destinées à faire croire que, par une arithmétique simple, l’on a la solution du « problème noir » de la France. Compter la couleur des épidermes ne résout rien dans le domaine de la politique. De surcroît, la politique a aussi horreur du vide, qu’elle remplit d’émeutes « aveugles » quand les élites propagent ou proposent de faux moyens de solution de problèmes qu’elles ont mal posés. Il n’est pas logique de tirer du recensement des Noirs l’acte politique effectif et efficace qui les sauverait. Or même si l’action politique n’est pas de l’ordre de la déduction logique mais du tâtonnement pragmatique, il n’est pas interdit à un homme politique d’être logique dans les raisonnements qu’il tient ordinairement.



b) D’ailleurs a contrario, bien qu’on n’ait pas compté les Noirs pour en faire une « communauté », le Noir qu’est Louis-Georges Tin a réussi là où beaucoup de Blancs ont échoué. Tin, noir de teint (c’est un métis), a bien dû se donner les moyens de résoudre par lui-même, c’est-à-dire en travaillant, son « problème » de Noir, et ce, sans le secours d'une déclaration de « couleur de peau » à l’état civil. Cependant étant donné que nous ne vivons pas dans une civilisation de l’oral mais de l’écrit, ce que veut Monsieur Tin (et le CRAN) ne peut exister en France que par un acte civil de droit, voté par le Parlement, qui proclame qu’en France existent des hommes singuliers que l’on déclare légalement noirs et qui, par cet acte juridique même, sont sortis du noyau d’égalité universelle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Car c’est bien ce que lui et ses amis nous demandent, en ce début du XXIe siècle, plus de deux cents ans après la Révolution universaliste française et la déclaration de l’existence d’un homme universel : ils veulent qu’à l’état civil des parents aillent déclarer qu’ils ont donné naissance à un Noir. Voilà ! La belle histoire ! Pour que nous soyons plus « visibles » encore, il faut que vous nous comptiez, messieurs les Blancs ! Inscrivez-nous en mairie ! Louis-Georges Tin veut que le droit dise le gène ou que le gène devienne droit. L’identification de cet être singulier qu’est le Noir devant être complète, la Nation, par la loi, dira aussi où et comment trouver ces Noirs, de qui ils naissent, soit donc le recours à la génétique et à la race. Par un « Code noir » approprié au XXIe siècle, la Nation française doit donc de nouveau discriminer (positivement, paraît-il…). Au passage, je remarque qu’il faudrait compter aussi les Blancs et, pour être juste, que le gène blanc devrait aussi devenir un droit. Lequel ? Quel serait le droit des Blancs, qui serait le corollaire politique du droit noir issu du comptage des Noirs par les Blancs ? On aura remarqué que ce sont les Blancs qui, en position de supériorité de fait et de droit, devraient régler par le droit cette inégalité à la Louis-Georges Tin. Sa grande découverte ! Sa grande contradiction ! Mais la cohérence et la vérité viennent vite nous remettre sur le droit chemin : si tous les hommes sont égaux, la discrimination - même « positive » - est interdite. C’est là une conséquence nécessaire de l’égalité universelle elle-même. Plus généralement, qu’elle soit négative (ce qui est un pléonasme) ou « positive » (ce qui est idéologique), toute discrimination sociale ou politique est toujours négative parce qu’elle procède de l’affirmation et de la reconnaissance explicites ou implicites d’une inégalité parmi les hommes. Cum inter homines, omnis dscriminatio injustitia est.



c) Cependant, pourrait faire remarquer n’importe qui, les gènes des races circulent librement, se rencontrent au hasard de l’amour puis se croisent. Et les métis alors ? Qui a le droit de leur affecter une race ? À la naissance, qui a le droit de les déclarer juridiquement appartenir à une race plutôt qu’à une autre ? À la mairie, quelle couleur leur affecter pour la vie ? Quelle est la légitimité de cette décision d’octroyer une race à un individu qui hérite de deux races ? Corsons la difficulté : quand un métis naît de deux « minorités visibles », laquelle fait de lui une « minorité visible » ou plus « visible » ? Est-il doublement « visible » ? On le voit, c’est absurde. Nous délirerions, si nous devions déclarer et compter les Noirs de France.



d) Voilà, c'est certain, ce qui nous ferait revenir aux « races humaines » de Gobineau, pour ne citer que celui-ci. Je ne sais pas si Monsieur Tin est conscient des implications immédiates juridiques, pratiques, humaines - et absurdes - de son projet politique de déclarer l’existence légale d’une communauté désignée et nommée par sa couleur de peau. En France, on dira désormais et écrira : « NOIR », sur nos fiches d’état civil. Un raciste n’aura même plus besoin de voir un Noir pour le savoir noir. Cela se lira sur la carte d’identité de l’absent. Mais absent, il aura tort. Ainsi aura-t-on bien travaillé pour le compte de ce raciste. Non, je ne veux pas être ce travailleur de la race. Les nazis avaient commencé leurs « œuvres » en scrutant les arbres généalogiques des Allemands. Qu’on se souvienne des lois de Nuremberg ! Allons même au bout de la logique des paroles de Tin : puisque, même en tant que « minorité visible », nous devons être comptés et recensés pour exister réellement, pourquoi ne nous ferait-il pas circuler désormais, nous les Noirs, dans les rues de France avec un signe visible collé sur notre paletot : l’insigne « NOIR » ? Comme ça, nous serions en état de dénombrement « visible » permanent. Puis, si l’histoire devait un jour « bégayer », peut-être serions-nous disponibles pour un « Achtung ! Neger ! », etc. La France reviendrait à l’automne 1940 et au sort qu’on y fit aux Juifs frappés par le « statut ». Ainsi Louis-Georges Tin, par sa demande et son raisonnement, vient-il aussi d’ethniciser une question politique et morale. C’est faire fausse route. Au demeurant, tout le monde sait que la France a, depuis longtemps, subsumé l’ethnie sous le Peuple et la Nation. Là encore, si l’on se trompe dans l’identification de la nature d’une question, le vide règnera, quand on voudra agir. Heureusement, la République (du moins aujourd’hui où elle a encore assez de ressource morale pour veiller sur elle-même et résister politiquement) n’osera pas, n’osera plus, une telle absurdité juridique. L’Égalité universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen nous protège encore de cet avatar de la raison dissipée ou intéressée de ce « représentant » (?) des Noirs de France.



Je ne veux pas d'une génétique qui tienne lieu de politique.



e) L’objection la plus importante est peut-être celle-ci, lapidaire : Pourquoi nous déclarer en mairie et nous compter ? Il ne faut pas un effort surhumain au regard des autres pour voir que nous sommes noirs. Nous sommes là, présents et agissants. On nous voit. Cela ne devrait-il pas suffire ? Pour le reste, le mérite, le travail, la connaissance (par l’école) et la compétence surpasseront aisément la contingence de la couleur et le comptage ethnique.



Louis-Georges Tin nous a asséné, ce soir-là, sur Arte, un second paralogisme, qui est même un sophisme, que je pourrais présenter ainsi : Moi, Louis-Georges Tin, j’ai réussi malgré la barrière de l’impossible que les Blancs ont dressée sur mon parcours (puisque je suis noir), mais vous - les autres Noirs de France - vous n’avez pas pu réussir. Alors, je vous prends en charge : Suivez-moi ! Je dirais même qu’il se grise (avec d’autres) de sa position d’élite de fait et qu’il pratique avec mépris les autres Noirs à qui il dit implicitement ceci : Proposition A : Vous n’êtes pas capables de vous en sortir tout seuls parce que vous êtes noirs. Proposition B : Il faut vous faire compter en tant que Noirs. Proposition C : Pour qu’un tiers - l’État blanc - vienne vous délivrer de votre mal d’être nés noirs. Mais on remarque sans peine que : primo, il n’y a aucun lien logique entre les trois propositions. Secundo, le raisonnement qui relie A, B, C non seulement est faux mais encore cache ce que je vois comme une démagogie. En effet, il n’enseigne pas la voie rude de l’effort et veut entraîner derrière lui la foule des laissés pour compte noirs, que la facilité apparente proposée par ce raisonnement pourrait séduire et qui, en réalité, ne doivent pas forcément, ni même seulement, leur sort au seul fait qu’ils sont nés noirs. Ce raisonnement latent et son expression manifeste par une déclaration politique apparemment anodine sont captieux. Ils instrumentalisent les laissés pour compte noirs. C’est le propre d’un sophisme que de tromper autrui par un faux raisonnement fait à dessein d’abuser intellectuellement de lui et de le manipuler.



En raison de tous ces défauts de son raisonnement, Louis-Georges Tin n’est pas qualifié pour me représenter et parler en mon nom.



3°) Cette émission d’Arte sembla finalement avoir eu comme mission de présenter le CRAN, « petit nouveau » du paysage noir du PAF (paysage audiovisuel français), en montrant son cofondateur, Louis-Georges Tin, brillant dans l’éclat des mots, qui opposa, ce soir-là, le vocable de « transversalité » à ce qu’il rejette, à savoir « l’universalisme » français. Pour sauver les Noirs de France, il veut « la transversalité qui permet d’accueillir les différences, ce que l’universalisme, dont parlent certains, ne permet pas toujours de faire ». Il s’agit maintenant, dans la suite de mon propos, de démontrer combien ce vocable de « transversalité », quoi qu’en dise son inventeur, est objectivement excluant et discriminant parce qu’il est nécessairement adossé aux mots de communauté et de « communautarisme ». Il s’agira aussi de montrer combien la « transversalité » nous éloigne de l’esprit critique, et accueillant, qui est à l’œuvre dans la construction du concept d’universalité. Mais auparavant il me faut enquêter sur « l’universalité » qui fonde l'universalisme français et occidental, afin de mettre à l’épreuve ses effets. Nous fouillerons cursivement dans une partie de l’histoire de la pensée qui a fondé l’occident d’aujourd’hui et un fragment de l’histoire politique récente pour voir d’où vient l’universalité, ce qu’elle a promis et ce qu’elle peut encore promettre aujourd’hui.



Quoi de plus facile que de promouvoir la « transversalité », mot qui entérine le commerce immédiat d’échanges des besoins. Ce terme enregistre l’expérience quotidienne évidente et donne un nom à la constatation immédiate, celle qu’un enfant peut faire par l’observation naturelle. Certes un enfant peut se satisfaire de l’évidence donnée par des communautés qui vivent leur juxtaposition dans l’indifférence réciproque. Mais un homme fait, qui prend en mains un projet politique de transformation des rapports sociaux, doit-il se placer du point de vue de l’enfant et de la foule des êtres sensibles ? Non. Sauf que la « transversalité » de Louis-Georges Tin, qui n’est pas un enfant ni un innocent, est le vocable adouci qui prépare ou cache l’idéologie communautariste et ses effets indésirables. C’est un mot qui est prononcé à titre de fondement d’une doctrine communautariste de la gestion de la « question noire ». Au surplus, ce mot consigne les différences autocentrées qui rendent impossible la fusion des vécus ; il est symptomatique d’une représentation essentiellement agonale des rapports sociaux. Ce mot n’est pas un concept parce que l'élaboration d’un concept exige le dépassement des différences constatées, la recherche de « l’unité cachée sous la multiplicité » (Platon). C’est pourquoi, puisque nous parlons de politique depuis le début de cette conférence, la difficulté se dressera alors devant qui veut concevoir l’universel, le concept qui dépasse les particularités et les particularismes, mais aussi qui, à la manière de l’horizon, s’éloigne toujours de son poursuivant. Après tout, la « transversalité » de Louis-Georges Tin n’est qu’un mot qui sert à habiller passivement la juxtaposition factuelle des groupes ethniques nombreux et variés qui vivent actuellement en France. L’idée adéquate que fixe ce mot s’accommode passivement - c’est facile et c’est sa faiblesse - du multiple désordonné de leurs vécus bruts et anguleux. Citant Gaston Bachelard, je dirais que la « transversalité » est « donnée par l’entraînement naturel », lequel enseigne d’abord et toujours la perception naïve de la juxtaposition « bigarrée », « rhapsodique » (Kant) des choses et des gens. Dans le contexte où l’emploi Louis-Georges Tin, la transversalité revient à papillonner dans une banque de coutumes hétérogènes, parfois foncièrement antinomiques, sans en extraire des valeurs communes nécessaires à la cohésion d’une nation. Dénommant avec précipitation, sans affronter l’écueil de la conceptualisation, la « transversalité » fait mot de la chose donnée par l’attitude naturelle. L’universel, lui, est construit. Dans le domaine de la politique, comme d’ailleurs dans celui de la science ou de la philosophie, l’universel est même à construire. Il appartient à un devenir historique indéfiniment ouvert qui réclame l'énergie du héros, l’épreuve, le risque, l’acceptation du sacrifice, « la patience du concept ». Par l’universel, et par lui seul, peut se faire la coexistence pacifique et constructive des différences et des contraires, à tout le moins, à titre d’idéal moral, celui que Martin Luther King, impressionnant et poignant à en faire pleurer, prôna un jour d’août 1963 dans la certitude inébranlable que la non-violence vaincrait. « Je fais un rêve Je fais un rêve ». Ce jour-là, devant le Lincoln Memorial, le discours de cet assembleur des couleurs de peau résolvait la question des différences en incluant dans ses mots l’universel qui en fondait l’humanisme et en légitimait la portée politique incommensurable. Ce discours est un modèle par l’universel sans temps et sans pays qu’il met en scène pour les générations de toutes les races. Louis-Georges Tin se réclame de Martin Luther King. Mais qui se réclame du petit pasteur noir ne doit point négliger de toujours relire entièrement ce texte fondateur et de comprendre que cette ode à la liberté et à la « creative suffering » (la souffrance créatrice) convie à aller jusqu’au terme extrême de ses paroles dépourvues de toute haine et de toute vengeance. Celui-là doit alors relire le dernier paragraphe - à mes yeux, le plus profond et le plus poignant, parce qu’on sait que c’est le rêve le plus difficile à réaliser - afin d’y découvrir ce qu’un homme noir, au plus fort du vécu immédiat de la négation de son humanité par le Blanc du sud de l'Amérique, peut encore trouver en lui de sublime pour dépasser ce vécu et proposer l'universel à l’humanité des races, des peuples, des religions et des identités. Ils l'entendirent leur dire : « Quand nous aurons fait résonner la liberté, nous serons en mesure de hâter la venue de ce jour où tous les enfants de Dieu, Noirs et Blancs, Juifs et Gentils, Protestants et Catholiques, pourront se donner la main ». Même les « Gentils » ! Même les « Gentiles », contre lesquels guerroie la Summa contra Gentiles de Thomas d’Aquin, sont conviés à la célébration de cette réconciliation de l’humanité avec elle-même ! Seulement, les « Gentiles » de Thomas d'Aquin formaient le groupe des hérétiques et de tous les non Chrétiens, dont les Mahométans et les Juifs. La Summa rangeait les « Gentiles » parmi les infidèles, les impies, les païens de toutes les nations, que Thomas voulait réfuter et « confondre », c'est-à-dire réduire à néant. Or l’exégèse du discours de Luther King veut qu’on y voie que, huit cents ans après la Summa, et sans les arguments de la démonstration, tous les hommes sont instantanément rangés dans le peuple de « tous les enfants de Dieu ». Des « enfants de Dieu » laïques en sont donc nés ! Au demeurant, il n’aura échappé à personne que, Mahométans ou païens, les « Gentils » de Luther King sont cités après les Juifs mais aussi avant les deux états de l'homme chrétien. Mais si, chez Thomas d’Aquin, la raison, avant et afin de les réunir, discriminait les hommes au nom de la foi catholique et de l’existence (démontrée par raison) du Dieu unique, chez Luther King, en revanche, c'est le cri de la liberté qui crée sur le champ l’humanité nouvelle des sous-ensembles humains désormais sans distance. Tout se passe comme si l’action, en marchant, prenait de vitesse la théorie, comme si les « chemins de la liberté » étaient parcourus plus vite (Luther King) qu’il ne faut de temps à la longue gestation des affaires de la raison (Thomas d’Aquin). Toujours est-il que là-bas, à Washington, ce jour d’août 1963, en terre de ségrégation, c’est dans le même mouvement humaniste que la différence des religions et la différence des races, toutes les différences en somme, ont été dépassées simultanément et résolues spontanément en une formule qui proclame l’universel de la « nation ethnique » humaine. Pouvons-nous espérer cela de l’attachement à la différence ? Non. La différence autocentrée, qui sert de fondement à tout communautarisme, n’a pas de limite ni de frontières : tout peut s’affirmer différence et se donner à exalter. Alors cette différence divise. En revanche, après ce discours de Luther King, qui a infléchi le cours du monde et restitué immédiatement à l'homme son universalité disloquée et martyrisée par l’Histoire, aucune communauté de race ou de religion ne doit désormais camper sur sa différence, la clamer avec plus ou moins de ressentiment et, ensuite, réclamer, avec plus ou moins de violence (verbale ou physique), la part d’identité autocentrée par laquelle elle se tient à distance conflictuelle des autres. Toute communauté de race ou de religion est invitée à d’abord donner (« se donner la main ») et ce, sans la proclamation préalable d’un droit sans fin à la différence et d’un droit jaloux de la propriété de soi. Recevez mais en donnant ! Dans l’échange éthique et sociétal dessiné par l’universel, le droit à la différence viendra du dû réciproque des différents. Ainsi par anticipation, en 1963, la vengeance de nos Noirs de la France d’aujourd’hui (ceux qui développent les arguties irrecevables de la « concurrence victimaire ») s'est-elle muée en cœur d’accueil devant le Lincoln Memorial. Cette année-là, la « transversalité », confuse et dangereuse, du début du XXIe siècle noir français, a été réfutée par avance au profit de la reconnaissance de l’unité essentielle du genre humain. Aujourd’hui, il faut congédier cette « transversalité ».

Martin Luther King n’avait pas une vision agonale des rapports des communautés mais plutôt faisait signe aux semblables de toute la terre et de toutes les couleurs. À condition de ne pas voir une signification seulement locale, tribale ou exotique dans l’expression « le Sage de l’Afrique » qui le qualifiait, Félix Houphouët-Boigny montra de tels moments d’universel dans ses actes et ses paroles pour la Paix (qu’il pensa toujours en majuscule ; la majuscule de la majesté). Oui, la « transversalité », qui s’adosse à l’exposition (« mostra ») préalable des différences, est le terrain favorable à l’exaltation de « l’amour de soi-même » et de « l'amour propre intéressé » (au sens que Rousseau donne à ces expressions dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes). Elle libère les concurrences brutales et rend possibles les ravages du ressentiment ou des vanités, d’où ne peuvent naître que l’explosion communautariste, le conflit, la guerre des races. Ni la juxtaposition ni la somme arithmétique des différences ne fait une nation. Et il est aisé d’illustrer par l’Histoire le fait que, chaque fois que la différence autocentrée a été posée comme traverse de la charpente des nations, la nation qui l’a fait a erré ; aisé d’illustrer aussi le fait que l’humanité, elle, a alors perdu, s’est perdue, a régressé. Ainsi en est-il de la phase nazie de l’Histoire, qui avança sous sa différence aryenne autocentrée, qui divisa les hommes en commençant par leur attribuer une différence essentielle afin de consolider la sienne. Cela nous valut tous ces millions de morts. Puis, la capitulation allemande signée, ce fut la régression vers la terreur thermonucléaire des deux « blocs » de la guerre froide : un « rideau » fut baissé au milieu de l’Europe et, par conséquent, du monde, un « mur » fut érigé dedans Berlin occupée. L’humanité ne fut plus une mais deux. Vous parlez d’une « transversalité » accueillant les différences des groupes, des peuples et des races ! En mode « transversalité », il y aura toujours l’écueil d’une différence différenciante, celle qui, récalcitrante ou hégémonique, par intérêt égoïste ou par autocentrement séparatiste, creusera l’écart des différences naturelles ou acquises, qu’elle détournera alors à son profit. La destination fréquente du communautarisme et du particularisme triomphants est l’abîme. On sait que les nazis cultivaient le « Stamm » (la race) et la « Sippe » (la parenté). Donc : Attention ! Seul l’universel de l’État ou de la Nation est le rempart salutaire, la maxime régulatrice qui nous fera échapper à l’écueil de la fragmentation de la communauté politique par le conflit ethnique. Martin Luther King n’a pas pris la voie de la transversalité et du communautarisme. Il a pensé -pensé, tout simplement- la différence de sa condition d'homme nié, sans en faire une valeur d’exaltation de race, sans en faire une donnée préalable de la mise en œuvre du « bien vivre ensemble », mais en l’incluant dans l’unité d’une humanité intangible qui préexiste à toute différence. Là, s’offre, dès lors, à nous le terreau d’où émerge le grand homme de l’histoire, « l’individu historique » dont parle Hegel. Dépassant le pathos, Martin Luther King déchiffra le concept : la souffrance -qu’il connut, lui- fut, chez lui, créatrice de cette unité et proposa l’universel de l’homme de toutes les couleurs et de toutes les religions désormais fondues dans les « enfants de Dieu » laïques. Martin Luther King a vaincu la division des hommes et des races sans diviser et sans guerre. Parce qu’il a donné au particularisme le statut de quantité négligeable et à l’universalisme la fonction d’une ouvreuse, son discours de 1963 a revu et corrigé le regard étroit qui sert trop souvent à fonder et justifier le cours de l’Histoire. Parce qu’il a vu l'Homme, il a dépassé le comptage ethnique désiré aujourd’hui, en France, par certains. Avec lui, l’humanisme a été fait principe d’inclusion, pendant que le communautarisme exclut en clamant le « moi, je » ethnocentriste de la différence autocélébrée. Certes la dénomination, étant une détermination, affirme et nie à la fois, ce qui s’appelle différencier. Par conséquent, le langage - ce phénomène qui fait et différencie l’homme de tout autre réalité - est le lieu de l’expression nécessaire de la première conscience de la différence. Kant nous a appris que c’est par le passage de « Charles » au « Je » que s’opère, chez l’enfant d’environ deux ans et demi à trois ans, la différenciation primitive, celle de laquelle dérive la conscience irréversible de la place qu’il occupe désormais au-dessus des « choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise » (Anthropologie du point de vue pragmatique, trad. Michel Foucault). Ainsi, par ces hommes qu’il nomme, le discours de Luther King est-il l’expression d’une série de différences : « Noirs, Blancs, Chrétiens, Juifs, Gentils » sont des énoncés de différences spécifiques connues, reconnues et partagées par et dans le langage même. Mais l’exclamation conclusive, qui les inclut dans un genre, leur soutire leurs différences de choses séparées, qu’elle élève au rang d’une synthèse de la Nation des enfants de Dieu laïques. Ici, n’est donc possible aucun communautarisme car il n’y a plus de différences que l’on puisse alors célébrer dans le cercle fermé de l’ethnicité. C’est l’artifice du langage, du mot et de la dénomination, que de réunir en usant de la division. L’image n’a pas cette propriété : deux images mises ensemble ne peuvent « parler » d’elles-mêmes ni, par conséquent, se réunir en une synthèse unifiante. La sphère des images ignore la fonction métalinguistique (Roman Jakobson). On doit pouvoir demander à l’homme politique -à celui qui, en l’occurrence et en France, se propose de proposer et disposer pour « le peuple noir »- de procéder semblablement à ce que fait le langage et à ce qu’en a fait Martin Luther King un 28 août, à Washington, lorsqu’il retourna le risque de communautarisme en un humanisme foncier, flamboyant et immédiatement opératoire. Ce n’est, du reste, pas un hasard ni une clause de style si la lettre de remerciement qu’il adressa à Joséphine Baker pour sa participation émouvante au rassemblement du Lincoln Memorial mentionne « l’humanisme » de la grande dame, qu’en elle il reconnut puis, par ce mot d’humanisme, se reconnut lui-même comme dans un miroir. Après l’été 1963, tout sera désormais l’œuvre de l’universel humain qui est en chaque homme. Par ce discours sur l’homme universel, les exactions scélérates du Ku Klux Klan ne seront plus irréversibles : les mots de la non violence les auront même fait basculer bientôt dans les pages marginales et négligeables des oubliettes de l’Histoire. Continuons (ou commençons, pour certains), chacun à la place qu’il occupe au sein de la Nation, d’imiter ce Noir illustre et digne que fut Martin Luther King jr, continuons d’acheminer les Noirs de France vers l’universel, lui qui veut l'unité, lui qui empêche les différences d’être autocentrées et centrifuges. L’universalisme endigue les différences agressives, qu’il empêche d’émerger sous forme de crêtes vives coiffant ces vagues inquiétantes qui charrient le mépris, favorisent les conflits, provoquent les escarmouches de toutes sortes. Je suis un universaliste. La démocratie que je défends est celle de la subsomption juste et équitable des minorités (quelles qu’elles soient) sous la catégorie régulatrice de Nation.



C) Mais il est vrai que l’universel n’est accessible qu’au penseur. Or depuis la mort ou la « retraite » intellectuelle des Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Martin Luther King, Kwame Nkrumah et, dans une mesure moins éclatante, Félix Houphouët-Boigny, le monde noir n’a plus de penseurs dans le domaine de la politique. Certes le monde noir du début du XXIe siècle est en mesure de nous offrir quelques (rares) figures remarquables de politiciens ad hoc, dignes, localement, de la « vista » de solutions sensées des problèmes de leurs pays. Nelson Mandela, pour l’Afrique du Sud, et Leslie Manigat, pour Haïti, en sont. Je crains de ne devoir clore la liste sitôt que je l’ai ouverte et cité ces deux noms. En tout cas, je concède de prendre un "joker", comme dans certains jeux de société. Les autres « leaders » noirs explosent en plein vol malhabile ou bien tombent comme des mouches en suivant les desseins politiques mal carrossés qu’ils ont eux-mêmes imaginés pour leurs peuples, qui ont cru en eux. Mais s’agissant de penseurs politiques au regard géo-aquilin, aux perspectives qui débordent la race et le contexte local, il faut reconnaître qu’il n’y a plus aujourd’hui ces Africains monumentaux qui, voici plus d’un demi-siècle, ont préféré le grand et large cercle de l’Homme au diamètre étroit, voire aux rayons courts, du Noir replié sur lui-même. Il n’y a plus ceux-là mêmes qui, au cours du demi-siècle écoulé, ont inauguré « la décennie des Indépendances », ceux-là mêmes qui furent capables, chacun dans la sphère qui lui était propice, de scruter leur présent historique difficile, humilié, incertain, pour y découvrir non la juxtaposition de communautés qui se regardent ou se méprisent à l’envi mais l’effectivité opératoire des catégories cachées et régulatrices de l’humanité universelle, condition de l’humanisme. L'humanisme est, en effet, un reste des différences : c’est ce qui reste quand on a soustrait au tout les différences qui écartèlent ses parties. Montaigne inaugure en France - et probablement en Europe, par conséquent, probablement dans le monde connu de l'époque - la catégorie rare du penseur humaniste. C’est lui qui nous a enseigné qu’il fallait voyager, qu’il fallait comparer et voir plus loin que la différence autocentrée, faire exploser celle-ci, avant de prétendre affirmer ce qui est universel. Montaigne a ainsi fait un tour d’Europe, a aussi lu les « relations » de voyages sur le sort fait aux Indiens par les Espagnols, puis a écrit les monumentaux Essais où se déploient les panneaux du triptyque fondateur de l’humanisme européen : l’acquis brillant du panneau gréco-romain (Renaissance), le panneau chrétien, hégémonique par les encycliques et les bulles, et enfin le panneau récent où s’est reflété depuis peu le visage nouveau de l’Indien. Pétri de sa culture et de sa civilisation, sûr de lui, Montaigne, qu’aujourd’hui nous (qui venons après Claude Lévi-Strauss) dirions « ethnocentriste », à la lecture de la citation qui va suivre, écrit que le peuple du Nouveau Monde, découvert par les Espagnols, est en retard puisqu’il est « si nouveau et si enfant qu’on lui apprend encore son a, b, c ; encore tout nu au giron de sa mère, et ne vivait que des seins de sa mère nourrice…cet autre monde ne fera qu’entrer en lumière quand le nôtre en sortira. L’univers tombera en paralysie ; l’un membre sera perclus, l’autre en vigueur » (in Essais, III, 6 « Des coches »). Mais c’est le même Montaigne - sorti, lui, du « giron de sa mère » - qui est capable de s’extraire de sa coquille européo-chrétienne pour aller voir l’autre, semblable, en son humanité. Il dénie alors aux conquistadors le droit qu’ils se sont arrogé quand ils détruisirent les Indes au prétexte que, étrangères à l’Europe et à la chrétienté, ces Indes étaient sauvages et barbares. « Je trouve, écrit Montaigne, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation les indigènes des Amériques, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » (Montaigne, Essais, livre I, chapitre 31 : « Des cannibales »). Ce n’est pas là un regard transversal porté sur l’homme, ce regard qui eût laissé les Espagnols et les Indiens à leur jeu de massacre des différences autocentrées. Comme Socrate fut un « taon » qui voulut réveiller les Athéniens du sommeil où les fit tomber leur déliquescence morale et politique, le propos de Montaigne était plutôt une piqûre faite aux Espagnols pour qu’ils sussent l’existence d’un homme universel qu’en ce lieu - les « Indes occidentales» - l’on appela barbare par un jugement de valeur relatif. Ce fut une invitation de la différence et de la communauté, tant célébrées aujourd’hui, à la fête de l’espérance et de la réconciliation avec ce qui est humain en tout homme. Montaigne n’a pas choisi la facilité qui eût été de dire : les communautés sont là, je les laisse dans l’affirmation de leurs différences et ce, jusqu’à la mort, jusqu’à la victoire ou à l’extinction. Non, il a choisi la voie difficile et clamé l’invisible trait d’union d’humanité qui supprime l’écart visible des différences transversales. Ainsi l’ethnocentrisme de l'affirmation de l’Essai III vient-il de se neutraliser de lui-même en cette convocation de l'universel de l’Essai I. Cette acceptation de la différence s’est faite au nom de l'humanisme, c’est-à-dire au nom de l’essence humaine commune à l’Européen et à l'Indien d’Amérique. Commune à tous les hommes et à tous les peuples désormais. Autre tâche de héros du grand Montaigne : cette acceptation de l’autre s’est même faite contre l'intention et le fait politiques de la « conquista » déjà en marche victorieuse dès les incursions de feu, cubaines puis mexicaines, de Hernán Cortés. Il eût été si facile d’exalter le succès, au moins sur le plan technique, de la différence triomphante portée par la victoire des Espagnols. Juan Ginés de Sepúlveda (1490-1573) prit cette voie, lui qui expliqua la victoire des conquistadors par l’infériorité naturelle des Indiens. Montaigne ne prit point cette voie. Mais il est vrai que Montaigne était un penseur, qui a su extraire, en 1580-1588, l’universel humain de là où les hommes d’action de l’époque (princes, prélats, capitaines, activistes et vagabonds), depuis l’aube des années 1500, étaient incapables de le discerner parce que, avides de gloire, de pouvoir et de biens, ils étaient aussi, par le fait même de la conquête matérielle, incapables de s’en détacher et de chercher l'universel abstrait et lointain. Ainsi Louis-Georges Tin n’a-t-il pas compris que l'humanisme de l’universel n’est pas imposé du dehors par on ne sait quel Satan européen avide de colonialisme. Au contraire, c’est quand il n’y a pas encore ou qu’il n’y a plus d'humanisme que le colonialisme et l’esclavage trouvent leur terreau. Louis-Georges Tin n'a pas compris que l’humanisme de l’universel n’est pas venu d’une intention malfaisante, qu’il ne peut pas venir d’une intention malfaisante, laquelle est éthiquement son contraire. Cet humanisme vient de la reconnaissance du semblable dans l’autre, exigence qui vaut autant pour le Blanc que pour le Noir (de France et d’ailleurs). Cet humanisme est aussi la connexion postulée des vécus compatibles car nous savons que cette humanité des semblables n’est possible qu’à la condition de la réciprocité. Par conséquent, le Noir et le Blanc (j’ouvre une parenthèse pour vous confesser la torture que m’impose l’emploi de ces deux mots, mais j’y suis contraint), le Noir et le Blanc, donc, malgré le passé de l'esclavage, se doivent aujourd’hui cette réciprocité de la reconnaissance des vécus partagés plutôt que l’affrontement des souvenirs de leurs vécus inégaux. Dès lors, si l’on postule l’égalité des hommes, il est interdit de demander aux Blancs de compter les Noirs ; le comptage ethnique rompt la chaîne incolore du semblable. Inversement, ce n’est pas en s’arc-boutant contre sa différence vue dans sa communauté « visible » que le Noir de France pourra s’emparer de la place que l’universel historique attend de lui. Si le regard du Blanc l’en a empêché par le passé, il ne faudrait pas cependant que le propre regard du Noir sur lui-même lui ferme aujourd’hui l’accès à cet universel. Ce serait un comble !



Cherchons par conséquent l’universel du Noir d’aujourd’hui. Car quiconque accède à l’universel accède aussi directement à la résolution immédiate de ce qui pourrait être le problème de l’altérité de l’autre, lequel, dans le commerce immédiat que j’en fais, m’est d'abord « farouchement étranger » (Hegel). Alain, le Blanc (… je continue de souffrir…), dit alors mieux que Louis-Georges Tin, le Noir : « Pour moi je n’ai aucune peine à reconnaître mon frère humain sous ses variétés de couleur. A quoi aident les différences autour de soi dès qu’on les remarque ; car en tous l’intelligence domine, qu’elle dessine l’action ou qu’elle rumine les passions » (in Sentiments, passions et signes, Gallimard, 1935, page 167). Voilà la tâche difficile, celle qui attend de nous l’effort, la persévérance, la patience : reconnaître l’unité d’un genre malgré les différences de ses espèces. L’humanisme de l’universel, quand nous nous le représentons adéquatement, précède les expériences contingentes des hommes, des « communautés » et des peuples ; il est leur lieu commun pensé, le préalable à la compatibilité politique des actes et à la coexistence morale des vécus. Il est aussi une déduction nécessaire : c’est ce qui reste quand on a assemblé du regard tous les hommes et tous les peuples pour n’en retenir que ce qui leur est commun afin de les convier à la coexistence et à la solidarité réelles du « bien vivre ensemble » d’Aristote (même si, chez Aristote, il n’y a pas encore d'humanisme satisfaisant, puisqu’il nous dit que certains hommes sont « nés pour être commandés » par d’autres qui sont nés pour commander). Dans l’ordre des considérations que je viens d’exposer, je suis amené à constater aussi que le généreux demi-siècle humaniste de ces penseurs noirs que furent Senghor, Césaire, Luther King, Nkrumah et Houphouët-boigny, n’est pas séparable de l’humanisme européen, celui de « l'occident chrétien », ombre et lumière, qui, par un heureux renversement dialectique, leur a fourni, au début des années 60, les thèmes, les concepts, l’inspiration doctrinale de leur combat, honorable et magnifique, de libération, d’émancipation et de créations originales. L’autre, le Blanc, un certain Blanc, a été capable de donner au Noir les coordonnées psychologiques et morales d’un redressement. C’est ainsi que l’espoir des Noirs de l’époque de la première moitié du XXe siècle fut communiste (un temps) chez Césaire ou « marxiste » soviétisant chez Sékou Touré ou socialiste chez Senghor ou « conscienciste » chez Nkrumah : communisme africain, socialisme africain, consciencisme africain … sont des parts de Blanc européen et chrétien dans le monde noir.



Par conséquent, l’universel aujourd’hui, en France, doit être ce qui reste quand le Noir et le Blanc auront tempéré leurs différences afin de former le tout de la France, car ce tout vraiment multicolore est à être. Le tout français multiracial se forgera dans le dépassement de l’altérité conquérante des expériences éthiques jalousement séparées, dans la fin assumée des célébrations ethniques ou communautaristes fièrement monochromes. En tout cas, j’invite la jeunesse noire de France à contribuer à la création de la France polychrome mais non ethnique, à le faire avec allégresse et sans la réticence ou la retenue qu’on voudrait lui inculquer ou lui imposer sous prétexte que cette jeunesse est noire et que la France (des Blancs) ne la concerne pas. Il faut alors être heureux, finalement, de constater que, outre la participation éclairée et raisonnable de Marc Ferro, le propos de bon sens de l’ensemble de cette émission de la chaîne Arte est venu d’un jeune Noir de France, Philippe Aman, membre de l’association Les Braves Garçons d'Afrique. Philippe Aman a reconnu notre dette à l’égard de nos ancêtres et de nos parents qui ont souffert et (peut-être) notre dette à l’égard de tous ceux, les Noirs illustres ou anonymes, qui sont morts pour nous, les Noirs d’aujourd’hui. Une reconnaissance envers tous ces Noirs de toutes conditions qui sont morts loin de chez eux pour nous laisser, en France et dans le monde, ce dont nous avons besoin pour devenir ce que nous aurons choisi d’être demain. Il a compris les impératifs moraux et politiques de l’Histoire présente des Noirs et il a dit : « Moi je pense qu’on est arrivé à un stade que la communauté noire, elle reste passive. Euh ! On aime bien faire la fête, faire tout. Nos ancêtres, ils ont passé tant de choses difficiles que la moindre des choses, c’est que là maintenant, grâce à nos parents qui nous ont emmenés en France et dans d’autres pays plus développés que l’Afrique, maintenant qu’on a la connaissance, on a tout. Ben ! Ça, il faut le mettre du bon côté, pour faire de bonnes choses, comme les choses qu’on fait avec l’Association. Donc je pense que c’est une très bonne chose. Comme on dit, il faut savoir d’où on est pour savoir qui on est ». Par ce propos, Philippe Aman en est venu aux choses simples, à savoir la transmission intergénérationnelle, et a inscrit, dans le temps de l’action et de l’histoire, ce que j’appelle aujourd’hui la responsabilité de Noirs à Noirs, de Noirs devant Noirs, celle qui s’exerce sans l’appel au secours porté par un regard impuissant dirigé vers les Blancs. Car, après tout, c’est bien là l’absurdité de ce que demande Louis-Georges Tin : que, par le comptage ethnique, les Blancs donnent aux Noirs le droit légal d’être des Noirs dans la Cité. Comme si ce n'était pas suffisant qu’ils naquissent noirs ! Or il faut plutôt demander aux Noirs tout simplement le minimum, c’est-à-dire être des Noirs dans la Cité, sans un texte de loi qui le leur dise. Être un Noir dans la Cité, rien de moins mais aussi rien de plus, qui fût ajouté à son état de Noir : être un homme et un citoyen, non un homme défini par je ne sais quel droit de Noir ou droit du Noir. En effet, comme on le voit pour Louis-Georges Tin lui-même, ce professeur d’université est un Noir dans la Cité, c’est-à-dire celui qui est ce qu’il est par son travail acharné depuis son DOM de la Martinique jusqu’à la chaire de faculté qu’il occupe aujourd’hui, celui qui est ce qu’il est par l’exercice de son droit de citoyen. Parce qu’il a travaillé, Louis-Georges Tin est ce qu’il a. Il a ce que sa citoyenneté française lui a offert et permis d’avoir, c’est-à-dire ce qu’il en a reçu. Non parce qu’il est noir. Philippe Aman a donc nommé la cause profonde et individuelle de ce qui est arrivé à certains Noirs d’aujourd’hui. Ignorant toute démagogie, il a dit la vérité (il ne doit pas être exécuté… !). Les peuples se sont faits eux-mêmes quand ils ont eu le sursaut de comprendre que cela ne sert à rien de rappeler maladivement le passé, de demander de commémorer et d’espérer être reconnus en balançant à la face de l’autre le pavé illégitime qu’est l’anamnèse des souffrances d’ancêtres (esclaves). Non, pour être reconnu, il faut se faire connaître en se connaissant soi-même, ce qui ne peut se faire que si l’on a la connaissance tout court. Une connaissance spéculative, théorique ou pratique. Quand Philippe Aman conclut : « Comme on dit, il faut savoir d’où on est pour savoir qui on est », je me suis dit que les faiseurs de mots n’ont qu’à se taire. Ce jeune Noir renvoie au commencement les démagogues du microcosme noir. Il se donne, lui, comme projet, presque comme mission, de faire de la mémoire une œuvre, d’inclure le passé dans la diachronie, et de nous inviter à nous en servir comme moyen de l’avenir. L’effervescence symbolique de la commémoration de l’abolition de l’esclavage est un bon acquis du monde noir. La conférence que je suis en train de prononcer est la preuve de mon adhésion totale à cette conquête. Mais cette commémoration doit être prolongée d’abord par des actes de construction de soi posés par les Noirs eux-mêmes, et ce, sans le préalable vexant d’une « discrimination positive ».



Philippe Aman aurait certainement mérité sa place sur le plateau de télévision. Par la simplicité de son propos et la générosité de ce qu’il fait sans bruit dans la Cité, il eût certainement montré l’avance prise par l’action sur les babillages plaintifs, incantatoires, rhétoriques et littérairement élégants du microcosme noir. Tout le monde sait bien que l'agitation ou l’activisme n’est pas l’action politique créatrice d’œuvres et combien l'activisme peut être nuisible ou stérile. Mais l’utilité proposée au peuple noir de France par la télévision n’est pas toujours là où celle-ci la prend ou l’installe. Ceux qui « occupent le terrain » par le bruit des ondes hertziennes transforment la mémoire en mots, rien que des mots et de belles phrases. Et voilà qui engage le monde noir dans l’impasse politique ou qui ne le conduit qu’à quelques victoires à la Pyrrhus. Pour actualiser mon propos, je prendrai l’exemple des violences urbaines françaises de l’automne 2005. Ces violences sont une victoire à la Pyrrhus : les pertes sont si importantes que la victoire en devient insignifiante, peut-être nuisible au peuple noir. Je dis donc qu’incendier - sans cause exposée et discutée publiquement, démocratiquement (dans l’agora) - mille quatre cents véhicules en une nuit de feux folie, peut apporter à ses auteurs quelque satisfaction narcissique, égocentrique, purement égoïste. Ces exactions et délinquances très graves peuvent même leur avoir procuré une jouissance esthétique devant le feu rougeoyant des symboles en flammes de l’ordre républicain laïque. Mais je ne peux m’empêcher d’anticiper et de dire qu'après l'automne 2005 le prisme déformant du regard de l’autre (le Blanc) sur le peuple noir de France s’est agrandi en son spectre discriminatoire. Ce prisme va devenir bientôt singulièrement ségrégatif, quand, plus regrettable encore, il ne travaillerait pas ardemment, dans un an, pour un parti politique à l’affût, prêt à rafler la mise (mais zéro il misa car on a l’habitude de travailler pour lui) grâce à ceux qui, ne connaissant rien à la pragmatique politique, croient pouvoir faire d’une cagoule et d’une pierre projectile des moyens remarquables de l’action politique transcendante. C’est cela, messieurs ! Travaillez pour ceux qui récolteront à votre place ! Semez, semez généreusement les graines dont les fruits amers vous bouteront hors de France (et moi avec), lorsque vous les aurez portés au pouvoir ! C’est ce que j’ai appelé plus haut une victoire à la Pyrrhus : après avril 2002, plus dur sera, en France, avril 2007 ! Malheureusement, je suis condamné à « payer » du regard raciste d’un grand nombre de Blancs ce récent héritage incendiaire identifié par la conscience collective française comme solidairement « noir » (même s’il n’est pas seulement noir). Non, cet héritage est absurde, inutile, qui n’est que le fait balourd d’une minorité insignifiante de Noirs (à laquelle les media, sacrifiant à leur habitude, tendirent avec gourmandise leurs micros et les objectifs de leurs caméras). Je récuse sans appel cet héritage ethnique politiquement bricolé par ceux qui ont mal à la France.



Mais puisque Philippe Aman a parlé de « connaissance », je me sens l’envie d’ajouter ceci : Que les Noirs continuent d’aller à l’école. Qu’ils apprennent. Ainsi pourront-ils se faire, se refaire puis faire. Le reste, dit ou fait ailleurs et par d’autres, n’est que mots le plus souvent (Tin) ou consécration pathétique du symbolique (Taubira).






D) Il y a encore plus important et décisif à noter concernant le Noir de France, en particulier, et le Noir dans le monde, en général. C’est que, dans son Discours prononcé le 12 décembre 1962, à Accra, au Ghana, à l’ouverture du 1er Congrès International des Africanistes, (discours publié sous le titre « Africanisme et Culture », in Présence africaine, 1er trimestre 1963), Kwame Nkrumah, armé du concept de « consciencisme », visait la verticalité morale et politique du redressement du peuple noir africain après la colonisation, sa montée vers le monde des autres et de « la civilisation ». Dans ce texte, il définissait de la manière suivante le fondement moral et ethnique de cette doctrine politique originale - le consciencisme - et d’un de ses corollaires : « la régénération de l'Afrique, cette entrée dans une vie nouvelle, renfermant les diverses phases d’une existence complexe plus élevée ». Ce fondement ou « facteur fondamental » était, pour Nkrumah, « l’éveil de la conscience raciale ». Puis il assignait à l’Africain sa mission. Non point cette sorte de tangente par laquelle Louis-Georges Tin propose à l’ethnie de fuir l'épreuve de la responsabilité devant l’autre, mais Nkrumah proposa quelque chose de grand, la verticalité édificatrice de la montée de l’homme noir vers la science et la technique : « l’Africain, a-t-il dit aux congressistes, a refusé de camper éternellement aux frontières du monde industriel ; ayant appris que le savoir est un pouvoir, il instruit ses enfants. Vous trouvez ceux-ci à Edimbourg, à Cambridge et dans les grandes écoles d'Allemagne. Ils rentrent dans leur pays comme des flèches, pour chasser l’obscurité hors du pays ». Une assomption joviale du passage obligé de l’obscurité de l’ignorance à la lumière de la connaissance ! Kwame Nkrumah voyait le cercle nécessaire des échanges entre les races comme la médiation humaine du redressement du Noir. Il n’a pas réclamé une science et une technique qui seraient nées de la « conscience raciale noire ». Il savait qu’on ne pouvait pas pousser la conscience de race, disons le racialisme, jusqu’à cette absurdité. Devant la connaissance acquise par la science et devant l’usage de l’objet technique, la race doit se taire. Je prétends qu’il en est de même de la politique, quand celle-ci est juste, et de « l’existence la plus élevée » que nous lisons dans la première citation de ce paragraphe. Je peux alors faire les deux remarques suivantes, d'extensions inégales.



La première est de noter la continuité du programme africain envisagé au siècle dernier par Nkrumah au programme africain actuel de Philippe Aman. Ce jeune Noir du XXIe siècle veut, lui aussi, que l’Africain se redresse par des connaissances et par des actes qui l’insèrent dans le temps commun de l’Histoire des hommes. Que le Noir cesse de clamer : « Je suis différent puisque je suis noir et ai été colonisé ! ». Philippe Aman ne veut pas être prisonnier de la différence affirmée par le cri de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation. Certes il convoque la mémoire mais c’est pour en faire le moyen intimement humain de la construction de l’actualité, une force morale d’avenir, l’instrument quasi cathartique de la transition du passé vers l’Histoire, celle qui appelle les temps nouveaux de la présence « dénoirisée » du Noir.



La seconde remarque, qui sera beaucoup plus longue, est d’observer aujourd’hui, avec amertume, l’immobilité des « flèches » dont rêvait Nkrumah, flèches qui devaient, par leur vol quasi messianique, accomplir le cercle du redressement de l’Afrique. Cette immobilité se voit dans la tragédie Nord / Sud contemporaine. En effet, les cerveaux, les bras africains et noirs qui ont voyagé vers le « Nord » ne sont pas rentrés dans leur « pays natal » et s’installent durablement en diasporas multiples en Europe, en Amérique et ailleurs. Parfois, ils meurent, nombreux, à force de se faire la courte échelle pour enfreindre les lois des frontières des États où ils veulent s’engouffrer sans droits. Ou bien, dans un « parc à réfugiés » d’un désert nord-africain, nous les avons vu tomber comme des bêtes sans soins. Ou bien encore, sur le sol d’une France économiquement incapable de les accueillir décemment (dette de plus de 65% du PIB !), des Africains et des Noirs partagent avec d'autres immigrés des conditions d’existence en dessous de l’humanité postulée par les Droits de l’Homme et du Citoyen. Un demi-siècle après l’allocution d’Accra de 1962, le constat est politiquement décevant et moralement révoltant ou tragique : aujourd’hui, l'Africain de Kwame Nkrumah (et d’autres Noirs du monde) vit trop souvent d’exode, d’exil et d’errance. Au moment où je pense les termes de cette conférence, je remarque que les dirigeants noirs eux-mêmes, chefs d’État ou éminences grises de partis politiques, ne disent plus aux Noirs : Restez chez vous ! Ou : Revenez sans délai au pays ! Mais déplaçant les règles ordinaires de l'économie, sacrifiant une partie de la mission de l’État moderne, la nouvelle injonction, silencieusement complice, de ces dirigeants est : Partez ! Ou bien encore : Que le « Nord » ouvre ses frontières à la misère des bouches affamées du « Sud » ! Si, au moment où je vous parle, vous avez déjà entendu un chef d’État du « Sud » noir se plaindre que les ressortissants de son pays s’abandonnent à des esquifs de fortune pour gagner le « Nord », prévenez-moi. Si vous en connaissez un qui ait porté ce désordre des Nations devant l’ONU, informez-moi. Un qui ait saisi le Conseil de Sécurité, car c’est bien de sécurité des individus et de leurs nations dont il s’agit ? Prévenez-moi aussi. En attendant cette information et en pensant à l’apparente innocence des questions perfides qui suivent, je pourrais demander : « Mais que fait la police ? Que font les garde-côtes ? ». Je ne parle pas ici du cas atypique de la république noire d’Haïti où, il y a peu, un autocrate régna, qui ignora tant les choses sérieuses de la politique qu’un jour de grande sagesse nuisible il signa un décret de suppression pure et simple de l’armée haïtienne. Produit excellent de la théologie de la libération, ce président anarcho-populiste ne put point comprendre qu’une armée n’est pas nécessairement une excroissance toujours « bourgeoise ou petite-bourgeoise », antagoniste par essence aux intérêts de ce qu’il appelle « le peuple ». Le ver haïtien n’est pas nécessairement dans son armée… Je passe sur les bévues étranges de cette utopie, qu’Haïti ainsi désarmée paiera très cher, un jour, lorsque d’autres États, pourvus d’armées aguerries, lui montreront la portée efficace de leur voracité militaire. Bon sang ! Quand j’eus appris, il y a quelques années, qu’un tel décret avait été signé à Port-au-Prince, j’ai immédiatement compris qu’il fallait être bien ignorant pour oser laisser Haïti sans défense à côté d’une voisine, la République dominicaine, qui ronge son ressentiment de deux siècles contre les Haïtiens. Selon mon humble prévoyance, cet État - que les Haïtiens appellent la Dominicanie - ne tardera pas un jour à faire une incursion d’occupation de la terre de Jean-Pierre Boyer. Soit cette invasion sera regardée avec complaisance par la communauté internationale, soit elle sera le bras armé de quelques puissances qui voudront en finir avec le « cas Haïti », gênant, à divers titres, depuis deux cents ans . Je reviens donc au « Sud » africain noir, politiquement démissionnaire, pour dire que, même sans parler de l’armée, je sais que les polices de ces nations du « Sud » possèdent de si fins limiers, capables de déjouer le moindre soupçon de projet de soulèvement du peuple contre leurs chefs d’État, que je reste interdit devant leur ignorance des départs clandestins de ces barques mortelles. Leurs RG et leurs DST seraient-ils tranchants seulement quand ils ont pour mission d’espionner les étudiants, d’infiltrer les opposants aux régimes en place et de tuer dans l’œuf les projets de manifestation contre des dictatures naissantes ou durables ? On nous apprend qu’il existe des « passeurs » nationaux sur ces terres africaines de candidats à l’exode aveugle et qu’ils font payer très cher leur marché noir du Noir, commerce infâme de l’espoir bientôt transformé en cauchemar. Ces services de renseignements et de sûreté des États autochtones seraient-ils eux-mêmes aveugles et sourds aux activités immorales de ces commerçants africains de « bois d’ébène » des temps nouveaux ? Toujours est-il qu’il faut avoir le courage de voir les choses comme elles sont et de dire l’évidence, même dans sa crudité et sa cruauté choquantes, afin de pouvoir ensuite la chosifier dans le concept qui la dépasse, puis agir pour la transformer. Il faut alors avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que, par leur silence et leur inaction, voire leur complicité objective, ces chefs du « Sud » noir cautionnent aussi la mort qui, sur l’eau ou quand ils escaladent un grillage barbelé, attend ces Noirs de l’exode. Frêles esquifs à la dérive sur l’océan atlantique ! Futurs cercueils échoués dans un havre mal abrité des Îles Canaries, ce sont aussi des canots de fortune, surpeuplés, projetés par une dernière vague sur la grève de Lampedusa, ce sont enfin de chétives embarcations renversées, vides, sur la « côte UE » (Union Européenne) bordant le détroit de Gibraltar ! Morts de faim et d’infections ! Morts africains sans sépultures, flottant sur la mer au clair de lune ! Tributs payés par l’Africain de l’aube du XXIe siècle, bombances macabres de requins et de cachalots !



« Nous ne pouvons pas ne pas parler des choses que nous avons vues et de celles que nous avons entendues ». Donc je poursuis.



C’est que, d’un siècle à l’autre, l’histoire semble se faire signe, à défaut de se répéter. À partir du XVe siècle, en effet, - et avant - l’Afrique connut une saignée. La métaphore est souvent employée et est exacte. Depuis le milieu des années 60, l’Afrique connaît une érosion. Ce mot est exact aussi. Les deux comparaisons couvrent la boucle géopolitique de la dégradation continue et multiséculaire de l’Afrique noire. Autrefois, vers le XVe siècle et suivants, les négriers (blancs) de la traite jetaient par dessus bord les Nègres morts pendant la traversée de l’Atlantique, aujourd’hui, des récits de Noirs rescapés nous apprennent que des Noirs ont jeté par dessus bord des Noirs morts pendant la traversée clandestine vers le « Nord » et l’Europe. L’océan atlantique continue d’être le tombeau des Noirs. C’est la singularité géopolitique du Noir d’aujourd’hui. Qu’a gagné l’Afrique des Indépendances, si c’est pour en arriver à ce macabre travail de croque-mort de ses natifs du XXIe siècle commençant ? Je remarque, en outre, que, d’une tragédie à l’autre, cette boucle géopolitique donne un résultat qui pourrait sérieusement inquiéter : car si, à partir du XVe siècle, dit-on, « la traite négrière transatlantique » commença à priver l’Afrique de ses natifs au moment où ils atteignirent la fleur de l’âge, force est de constater qu’à l’aube du XXIe siècle le Noir des pirogues dérisoires a quitté l’Afrique pour ne plus y revenir, du moins en âge de force vive. Un froid calcul politique du moindre coût économique voue, de nos jours, nos boat people noirs à la mort acceptée, à ce « grand débarras » géopolitique du Sud vers son Nord. Même Fidel Castro, « non aligné » ( ?) du Sud, a dit oui, en 1994, à ce sacrifice humain politique des temps historiques nouveaux, conséquence collatérale mondiale des excès sanguinaires inauguraux du Vietnam viêt-cong de 1976. Ce sacrifice humain noir n’est plus fait pour honorer les dieux tutélaires africains mais pour donner libre cours aux passions de gloire des oligarchies temporelles et insouciantes locales. Il faut noter aujourd’hui ce nouveau discours de démission, qui, pour l’Afrique des États noirs contemporains, est un renoncement et un retour en arrière politique d’un demi-siècle. Les dirigeants noirs n’ont pas piqué la colère d’Achille en voyant tant de Noirs s’abîmer de leur propre initiative sur le plan moral. Aujourd’hui, il n’y a donc plus de « flèches » ! Kwame Nkrumah est mort deux fois ! Sa seconde mort est un assassinat ! On a définitivement « dénoirisé » l’âme noire, on a blasphémé l’Afrique mythique du bonheur et de la bonté, que chantaient Senghor, Léon Damas, Césaire, Bernard Dadié. Lorsque quelques Blancs « bien pensants » clament, dans les forums ou aux tribunes complaisantes de quelques Assemblées internationales, ou encore écrivent en lettres d’or fallacieuses - dans des livres, des articles, sur des banderoles « exotiques » - que la misère du « Sud » est l’œuvre exclusive du « Nord », ils déresponsabilisent et absolvent les élites noires contemporaines de direction et de décision. Ils confortent celles-ci dans l’échec dont elles ont - de leur propre chef, par divers actes individuels ou collectifs critiquables et accumulés - tracé le sillon profond et durable. Il ne faudrait pas qu’engoncés dans la douceur de la bonne conscience de pays développés certains occidentaux oubliassent l’âpreté des conséquences de la négligence politique de quelques élites africaines (et noires, le cas d’Haïti). Il ne faudrait pas qu’alors le complexe de supériorité s’avançât masqué sous une condescendance indulgente qui voudrait qu’un dirigeant africain (et noir) fût incapable d’être responsable. Certes, même sans aller jusqu’au préjugé facile du bouc émissaire, nul ne peut nier le rôle non négligeable des États développés du "Nord" dans les échanges inégaux entre l’Afrique et ce qu’une commodité de vocabulaire nomme l’Occident. Il existe bel et bien un « pillage du tiers monde » (Pierre Jalée, 1967), tout comme a existé, par exemple, en Guinée (de Sékou Touré), une planification et une croissance maladroitement « marxistes », exogènes. Il demeure néanmoins qu’au moment où je prononce cette conférence j’aurais aimé que l’on eût déjà procédé à une enquête, une « historia », à la manière d’Aristote ou d’Hérodote, sur l’atavisme politique africain qui a servi de germe, d’invariant, voire de terreau, à la démission que je viens de décrire. On entend par atavisme : l’« hérédité des idées et des comportements » (Le Petit Robert). Rapporté à ce que je traite ici, et n'y ayant pas d'hérédité (biologique) des caractères sociaux (acquis), ce mot ne peut signifier qu'héritage, c'est-à-dire ce que livre de stable et d'actif, dans une culture, la transmission de générations en générations parce qu'au cours du temps et des vécus successifs d'un peuple il s'est consolidé dans ses représentations, ses mœurs et ses pratiques. Car, outre la conscience et le langage, ce qui distingue (aussi) des animaux les êtres humains, c'est la transmission, l'héritage conscient et inconscient, l'effet Pygmalion de l'histoire. De fait, individuel ou collectif, le passé humain n'est jamais perdu.

Pour la clarté de ce passage de la conférence, je vais préciser ce que j’entends par le mot d’atavisme : est donc atavique, ce qui, à son insu et involontairement, s'exprime de vieux dans un homme ou dans une culture, ce qui lui parle tout près mais de très loin, de l'inconsciemment vieux et ancestral. Dans des actes ou sous les formes symboliques les plus variées, l'atavique se transmet et est toujours à l'œuvre dans la construction active de l'avenir. N'étant pas de l'ordre simple de la génétique, l'atavisme que je convoque ici est de l'ordre complexe de la généalogie sociale, à tout le moins de l'ordre de la genèse anthropologique : le nom latin atavus dont il dérive nous donne « les ancêtres » en son pluriel. Il ne faudrait pas que le mot atavisme soit frappé d'un tel « atavisme », au sens péjoratif, qu'on en vienne à oublier de lui rendre la chose qu'il distingue, nomme et rend opératoire. Il existe un atavisme (ancestral, ce qui est un pléonasme voulu) africain comme il en existe un européen (qu'on dit occidental, selon besoin) ou un indien (qu'on classe sous le genre oriental), etc. Une « historia » politique de l’Afrique, en direction d’atavisme, éclairerait plus d’un idéologue sur le fondement idéologique douteux du discours d’absolution par lequel certains (Noirs et Blancs) dédouanent les politiciens africains de la responsabilité intrinsèquement africaine de ce qu’ils ont fait (ou n’ont pas fait) et de ce qu’ils continuent de faire depuis et contre « le soleil des Indépendances ». Par conséquent, admettre cet atavisme, au sens d'héritage inconscient des mœurs et des actes, c’est aussi assumer les concepts de tradition, de transmission, d'histoire d'une culture et d'une civilisation. Autrement d’ailleurs, c’est l’Afrique elle-même qui disparaîtrait sous nos yeux en tant qu’aire de culture et de civilisation. Celui-là serait, en tout cas, en contradiction avec lui-même qui, dans le même discours, soutiendrait que l'Afrique existe en tant qu'aire de culture et de civilisation mais refuserait à l'Afrique l'atavisme définissant de ses coutumes, de ses pratiques et de ces actes. En effet, on m’accordera ici que l’Afrique n’a pas attendu « l’expansion européenne » (Pierre Chaunu) pour naître et être, pas plus qu’elle n’est morte, en tant qu’authenticité ethnique, quand vint la fin de « la traite négrière transatlantique » et du colonialisme. De même m’accordera-t-on qu’admettre cet atavisme, c’est reconnaître à l’Afrique sa continuité de peuple et de civilisation, c’est assumer une identité africaine produite par et de l’histoire authentiquement africaine. Par exemple, la persistance africaine de la « présidence à vie » ou de l'auto-pérennisation du chef - qu'on voit déjà, je dirais même qu’on voit encore, chez Kwame Nkrumah (1964) et dont une présence typique contemporaine crève les yeux - peut inciter à poser quelques questions généalogiques. Ne serait-il pas légitime, oserais-je demander, de chercher aussi dans cette régularité et la quasi permanence d'un trait du pouvoir politique un fond africain - très vieux - de la gouvernance ? A contrario, cette enquête - cette « historia » politique de l’Afrique - devrait montrer aussi comment et pourquoi Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny (dans une moindre mesure) se sont faits originaux et profonds dans la réflexion, la forme et la pratique politiques qu’ils ont données jadis à cette identité africaine. Telle serait une orientation objective des études d'histoire africaine. Mais je ne suis pas historien et nous n’en sommes qu’à quelques intuitions timides, lues par ci par là, non encore coordonnées. Toujours est-il qu’à l’heure de cette conférence son désir de « Nord » rend l’Afrique exsangue. Plus généralement, là où le Noir (d'Afrique ou d'ailleurs) a échoué, là où il a « trouvé du travail », il attend désormais sa retraite, souvent dans l’indignité économique, politique et morale. Après quoi, éventuellement, il « rentrera au pays ». Entre-temps, l’envoi substantiel d'argent « au pays », acte louable de sa noblesse de cœur, n’aura pas comblé le fossé profond où sa dignité se sera abîmée à la suite de cet exode. Et encore ! Car le pire n’est pas prononcé puisque je n’ai pas encore dit que, là où le Noir a échoué sans que l’on puisse cependant lui offrir du travail, il végète et perd peu à peu les repères mêmes minimaux de son humanité. Tel est le constat de l’Histoire, qu’un sommeil complaisant de la raison critique fait oublier. Il est cependant là, ver sociologique rongeant cruellement l’état du Noir actuel, conditionnant à la fois le souvenir de tout ce qu’il a perdu et la représentation du peu qu’il peut espérer. Nous ne pouvons le nier.



Être Noir en France, à l’aube du XXIe siècle, c’est donc tenir compte aussi de ce rendez-vous manqué de l’Afrique avec l’horizon d’Histoire que ses dirigeants fondateurs modernes lui ont assigné il y a environ un demi-siècle, le rendez-vous manqué avec sa nouvelle part d’Histoire universelle dessinée dans les textes fondateurs des « Indépendances africaines ». Pour nous, les Noirs de France, d’Europe et du monde, le solde affectif de l’érosion humaine de l’Afrique noire s’appelle honte. La honte des Noirs qui voient à la télévision l’immonde et inacceptable condition de vie où s’abîment des enfants noirs, des femmes enceintes noires, des hommes noirs parfois en larmes, tous devenus des enjeux de pouvoir de groupuscules ou de partis politiques, du « Sud » et du « Nord », en mal d’actions d’éclats. La place prestigieuse qu’occupe le Ghanéen Kofi Annan à la tête des Nations Unies n’efface pas cette honte. Foyers délabrés, chambres d'hôtels réquisitionnées, surpeuplées, taudis et squats insalubres, tout est devenu honte noire des temps nouveaux, héritée de la démission des élites noires qui sont, elles, à l’abri du besoin et du désespoir, richissimes et sereines quant à leur avenir. La conscience de notre responsabilité et de notre tâche actuelles de Noirs, éparpillés « en diasporas solidaires », exige de nous que nous nous saisissions de ce constat, partout, sur toute la terre ; elle exige que nous en examinions objectivement les causes réelles, les conséquences multiples ; elle exige que nous imaginions les solutions les plus justes de ce problème crucial. C’est une tâche primordiale ; tâche d’Homme, il est vrai, non du seul Noir. Toute dénégation de cette réalité est irresponsable, tout oubli de ce devoir d’avenir est une faute. Tout refuge dans l’anamnèse incantatoire des temps de « la traite négrière transatlantique », de l’esclavage et de la colonisation, est un symptôme plutôt qu’une volonté saine d’amener le « peuple noir » à prendre souverainement sa part d’Histoire. L'anamnèse peut conduire à la célébration festive de l’abolition et jusqu’à l’idée saugrenue de projeter de défiler dans Paris sur un char, le jour de la commémoration de la journée du peuple noir (c’est-à-dire demain, 10 mai 2006), de danser au son de la musique techno, de se déhancher joyeusement comme au carnaval. Mais devant l’abdication décrite dans ce long paragraphe et le sort actuel du Noir de l’exode, le tragique quotidien des traversées et de leur issue nous invite plutôt à la conscience triste, au recueillement et à (re)prendre le mal à la racine. Les Noirs et leurs « diasporas solidaires » sont malades du présent, non du passé célébré qu’est devenue pour certains « la traite négrière transatlantique ».



Je prends le temps d’ajouter à ces observations sur l’exode du Noir la causalité psychologique suivante. Certes ce que je vais dire peut ne pas réjouir certains idéologues parce que, héritiers d’idéologies positivistes du XIXe siècle, il leur est impossible de penser ou d’admettre que des représentations produites par la seule conscience - par exemple l’idée de liberté - puissent mouvoir les hommes, configurer des migrations, fixer un homme quelque part, en terre étrangère. Mais je le dis quand même : les Noirs qui ont goûté à l’Europe se sont aussi pris à l’hameçon des Droits de l’Homme. Aux expédients d’une pratique locale égoïste, autoritaire, népotique et livrée trop souvent aux caprices de l’impéritie, ils ont préféré le confort psychologique de la liberté et de la gestion libre de la sphère privée, une certaine représentation du bonheur. Ils ont mordu à l’habeas corpus et y ont pris goût. Ainsi le retour dans leur « pays natal » s’éloigne-t-il à proportion que la vieille liberté du « Nord » les embrasse et les réconcilie avec la liberté elle-même, ce bien précieux - prima pars du bonheur - que tout homme découvre en lui par « la seule inspection de l'esprit » (Descartes).






III) La troisième partie de la conférence essaiera quelques considérations sur les nouveaux « cahiers d’un retour au pays natal ».






Après l’étude cursive de la configuration actuelle du monde noir en France, après l'évaluation des projets, des déperditions historiques et des regrets qui peuvent affecter les Noirs de France, une figure noire nouvelle se dessine maintenant et parcourt désormais la ville française (et d’autres villes du monde technologique, riche mais fort endetté cependant). Cette contingence de l’histoire africaine et de l’histoire du monde articule la nécessité historique qui conditionne aujourd’hui l’avoir et l’être du Noir de France.



Il convient à présent de décrire les aspects complexes de l’existence réelle du Noir de la France de l’aube du XXIe siècle afin d’essayer de comprendre ce que les Noirs qui y vivent peuvent entreprendre de devenir mais aussi ce qui leur est existentiellement inaccessible. Or ce qui détermine l’essence de la présence du monde noir en France, c’est paradoxalement son absence sidérale, je veux dire : la forme complexe des causes et des intentions qui ont fait que des Noirs se sont éloignés de chez eux sans être pour autant présents là où ils sont. Je choisirai de commencer par la typologie de cette absence dans son rapport avec le problème de la transmission. Ce que les idéologues noirs tels que Christiane Taubira et les gens du CRAN n’ont pas compris, c’est que la situation des Noirs de France est d’abord le reflet dramatique d’un problème de la transmission, et, pour certains d’entre eux, une inquiétude consciente ou inconscient au sujet de leur mort. La question est, en effet, brûlante et ne doit pas être éludée : Nous, les Noirs qui sommes loin de chez nous, qu'avons-nous à transmettre à nos enfants ? Cette question elle-même, pour décisive qu’elle soit, suppose la réponse précise à deux autres questions préalables : Qu’avons-nous emporté en partant de chez nous ? Avons-nous eu le temps d’emporter avec nous une « réserve » de transmission d’identité ? À la fin de cette conférence, je devrais sinon avoir répondu du moins avoir soulevé le chantier de problèmes et d’investigations qu’ouvre le fait de poser ces trois questions. Essayons donc d’esquisser quelques réponses tout en balisant quelques problèmes.



1) Rappelons que certains Noirs de France ont quitté leur pays après s’être réfugiés dans des ambassades mais sans avoir eu le temps de prendre un petit vade-mecum d’identité qui, tel le « double » des Égyptiens attendant le mort et le veillant, les aurait protégés de l’oubli de ce que Césaire recense comme le « pays natal ». Exilés politiques, ces Noirs sont partis un matin ensoleillé ou en pleine nuit. Ils firent vite un petit baluchon, sautèrent d’une fenêtre, gagnèrent ensuite, masqués et déguisés, la porte dérobée d’une ambassade bien surveillée par la police locale. Mon adolescence de Noir connut cette époque où les lendemains étaient politiquement incertains, où, un matin d'école, un professeur ne se présenta pas devant ses élèves. Nous ne pouvions pas dire que ces professeurs noirs étaient victimes de racisme ni que « la traite négrière transatlantique » nous poursuivait encore de ses démons maléfiques, car cela se passait en Haïti, pays noir du « Sud ». En France ou ailleurs, ces exilés ont dû reconstruire par la mémoire l’arme du cœur « natal » pour combattre l’absence et lutter contre l’oubli. Puis ils se sont progressivement reconstruits. Même noirs, surtout parce qu’ils étaient noirs (si nous pensons au « creative suffering » de Luther King), ils ont fait de leur vie quelque chose et peuvent aujourd’hui contempler les formes diverses de leurs œuvres d’hommes libres.



2) Rappelons aussi que d’autres Noirs, en particulier des étudiants, sont partis dans l’intention de retourner plus tard au « pays natal ». Ils ne sont pas retournés parce qu'un jour le vent imprévisible de l’Histoire leur devint contraire, ou bien parce qu’un beau jour de printemps ou un soir d’hiver leur cœur a battu la chamade pour une Blanche ou pour un Blanc. Ils ont aussi épousé la France et sont restés loin de chez eux. Mais, comme les exilés politiques précédents, parce qu’ils ne pouvaient pas prévoir l’avenir, ils n'ont rien emporté de chez eux qui aurait pu prendre la forme d’un adieu : par exemple, se sauver avec un mot ou une expression chérie de leur langue, garder en mémoire les parfums des fleurs de leur pays, l’arborescence impressionnante d’un mapou géant, la couleur d’un lézard, l’envol fulgurant d’un soui-manga, le cri lugubre d’un rapace nocturne, la nomenclature pour confectionner un plat typique, immortaliser la dernière image d’une grand-mère sur un Instamatic Kodak ou un 24x36 Nikon …

Comme ils sont partis sans ce bouquet de chrysanthèmes qui aurait inauguré le deuil de la terre natale, leurs pensées sont, par conséquent, tendues entre l'enfance et la mort : ils revoient ce que, enfants, adolescents ou jeunes adultes, ils furent ou vécurent au pays natal, puis, loin de chez eux, ils attendent la fin de leur exil, c’est-à-dire la mort pour un grand nombre d’entre eux. Une dépression incommensurable s’est ouverte, en eux, sur l’axe de leur temps existentiel. L’appel au passé ne reçoit pas de réponse ou ne provoque que des échos brouillés. Ils sont nus d’une partie de leur passé, dont l’avidité de gloire de leurs dirigeants politiques les ont privés pour toujours. Tel jour de joie, quand cependant ils se mettent soudain à évoquer leur passé, ils constatent qu’il leur manque, par exemple, leurs notes de cours de lycée, le cahier bien tenu d’un cours d'histoire ou de philosophie, une note (bonne ou mauvaise) de leurs professeurs sur une copie d’élève, le fruit d’un travail scolaire d’adolescent qui aimait l’école. Ces Noirs de France vivent de perte : par ce mot, je veux dire que tout un pan de leur passé et de leur vie est irréversiblement perdu. Leur existence est continuellement lacunaire. Ils vivent de cette lacune, de cette absence de dialogue avec leurs traditions, de cette perte de ce qu’ils ont apporté comme contribution à ce que la nation de leur naissance attendait d’eux. Au fond de leur âme ainsi amputée, le manque est leur quotidien. En résumé, l’absence, la perte, le manque sont leur fatum. Ces Noirs de France n’ont donc pas de pouvoir sur ce temps qui s’écoule entre la mémoire et l’attente, ce temps qui se passe sans qu’ils puissent transmettre à leurs propres enfants la totalité d’une expérience complète de vie sur leur terre natale. La continuité intergénérationnelle est ainsi rompue. Ne pouvant pas transmettre, ils attendent. Au fond d’eux-mêmes, ils découvrent une béance : leurs enfants sont nécessairement des entre-deux. C’est une des sources de leur souffrance. Puisque c’est moi, c’est-à-dire un sujet sensible, qui fais cette conférence, j’ose dire, devant vous, ce soir, que je m’inclus dans ce type de Noirs de France, dans cette singularité qui vit d’absence, de perte, de manque et d'irréversibilité.



Mais placés au milieu de l’abondance de l’accueil français, ces Noirs y ont puisé la force qui oriente l’esprit vers l’avenir, bien qu’ils vivent d’espoir d’un retour, d’espérance nostalgique. Faisant des infidélités à la mémoire, ces Noirs concilient cependant l’absence du pays natal et l’amour français présent qu’ils partagent avec leur famille. Ils s’assument d’abord comme hommes avant de s’assumer comme Noirs mais leur être est étrangement duel, cette dualité qui est faite d’une absence toujours présente et d’une présence toujours absente. Une dualité créatrice, parce que ces Noirs-là ne se sont pas sentis obligés de s’éterniser à regarder derrière eux, à se mirer victimairement et à se perdre dans un passé inévitablement rapporté aux soubresauts intimes, subjectifs et passionnels de leur personnalité. Contrepoids bienfaisant au « devoir de mémoire », le devoir d’avenir les appela, même si, de temps en temps et sans prévenir, le cœur natal a pleuré ou continue de pleurer du blues de la nostalgie. Sans casser des vitrines et sans incendier des voitures, sans se cacher « courageusement » ( ?) derrière d’inquiétantes cagoules - Vous parlez d’une conception démocratique de la politique, dont raffolent cependant les media ! - mais imperceptiblement et sans bruit, ces Noirs résolus se sont présentés sans état d’âme à la porte que les contingences de l’Histoire leur ont ouverte. Ils occupent aujourd’hui tranquillement, en France, les places qu’ils ont conquises « à la régulière ». Au bout du chemin de la création de soi, on découvre qu’ils ont travaillé, ont inventé leur avenir, se sont façonnés, même si, sur ce chemin difficile de la reconstruction de soi, ils ont dû affronter le chômage. Mais étant structurel, le chômage de masse des sociétés contemporaines n’est pas, par conséquent, paramétré par la race, quand bien même il serait logique de s’attendre - le racisme existant - à ce que certaines portes du « monde du travail » soient fermées à des Noirs. N’empêche, ces Noirs de France sont aujourd’hui manœuvres, ouvriers, techniciens, artisans, chefs d’entreprise, avocats, médecins, pharmaciens, cadres bancaires ; écrivains, artistes ; professeurs de collèges et de lycées, de différents grades ; professeurs des universités, de différents rangs ; chercheurs. Ils le sont devenus par leur talent, le travail, souvent l’abnégation voire la privation. Ils sont pourtant noirs, pourrais-je faire remarquer à Louis-Georges Tin. Ils n’ont pas perdu leur temps à imaginer ce que pense « la plupart de la population française », pourrais-je faire remarquer à Christiane Taubira. Quand nous et nos enfants - noirs ou métis de toutes les combinaisons de couleurs - occupons tant de « postes », et à tous les niveaux de l'échelle des « classes », il n’est pas possible à un esprit rigoureux et honnête de nier que nous le devons au travail, à l’effort, au sacrifice, au refus têtu de la facilité et de l’assistance sociale ; surtout sans avoir jamais réclamé l’obole d’une choquante et irrespectueuse « discrimination positive ». Nous ne le devons à aucune couleur de peau. Ni à la couleur noire de notre peau, qui, si nous suivons et déduisons à partir de la logique du CRAN, aurait alors affirmé et certifié de fait l’infériorité du Noir et nous aurait valu la faveur et la pitié des Blancs. Ni à la couleur de la peau des Blancs, qui, si elle nous avait aidés par préférence raciale, aurait certifié et affirmé sa supériorité raciale par le fait même qu’elle eût sacrifié à une condescendante et généreuse « discrimination positive ». Majorité de la « minorité visible » noire de France, nous devons à nous-mêmes ce que nous sommes devenus et ne devons rien à personne si ce n’est qu’aux enseignements, aux savoirs et savoir-faire que nous avons, nous, accepté de recevoir de nos divers maîtres et professeurs autant compétents que dévoués.



Les Noirs de France conquièrent aussi le monde du sport et de la mode.

Les Noirs de France font, c’est vrai, peu de politique représentative : seulement quelques conseillers municipaux et encore moins de maires adjoints, me dit-on, mais sans que je m’abstienne de rappeler qu’un Noir, Koffi Gnamgname, venu jadis d’Afrique faire ses études en France, fut, dans un passé récent, élu et réélu plusieurs fois maire de Saint Coulitz, une petite commune de blancs Bretons du Finistère ; puis ministre de la République, sous la présidence de François Mitterrand. Il est, par ailleurs, malheureusement fort regrettable qu’une fixation sur la télévision, medium scandaleusement centripète de ce qu’on appelle improprement « culture » dans l'expression culture médiatique, fasse oublier les réussites du « peuple noir » en France, qui sont patentes et nombreuses dans les autres secteurs de la vie française. Pour inciter à tempérer ce désir de « télé », je ne manquerai pas de faire observer que l’Angleterre, qui a « négrisé » sa télévision il y a déjà longtemps, n’a pas pu empêcher plus tard, sur son territoire, les émeutes des « hommes de couleur », comme on disait dans l’ancien temps. Mais qu’il soit noté clairement désormais, et malgré l’obscure infériorité numérique des Noirs à la télévision française : la France des colonies, de l’esclavage des Noirs est révolue. Dans le discours français, il n’y a plus d’ « Indigènes » ni de la République ni hors de la République. Cette France fermée, obscure et anachronique n’existe plus que dans la tête des idéologues du microcosme et dans celle de leurs semblables, tapis en divers lieux et instances du pouvoir politique complaisant, quand ce n’est pas sur des scènes parisiennes qui rient de l’autoflagellation française. Le bilan « de race » est étonnamment significatif pour un pays dans lequel certains ne voient pourtant que « discrimination » raciale (Louis-Georges Tin), « apartheid » (Yasmina Benguigui). Je déplore donc l'agitation que mène la minorité, visible « à la télé », de la « minorité visible » noire de France - la petite minorité qui désire tant - cette minorité qui masque la majorité silencieuse de la « minorité visible », cette grande majorité qui a conquis, qui a, est et se contente de ce qu’elle a sans pour autant cesser de progresser en son for intérieur.



3) D’autres Noirs de France errent dans l’espace indécis du je ne suis pas bien là où je ne suis pas chez moi. Ils vivent de l’attente de rien parce qu’ils ne sont ou ne se sentent, en définitive, nulle part où pousseraient le désir, l’envie, la force d’entreprendre. Certes ils ne sont pas nécessairement prisonniers de la mémoire mais l’imagination ne les libère pas non plus du poids de leur passé. C’est leur droit, quand ce n’est pas tout simplement ce peu que leur volonté introvertie leur laisse comme horizon. Mais pourvu qu'ils ne sombrent pas dans la névrose destructrice.




4) Enfin, dans cette typologie du Noir de France, il y a pire que le « je ne veux rien d’étranger, je ne peux rien d’étranger » précédent. Des Noirs de France souffrent aussi de l’impossible fixation de leur conscience sur la représentation d’une destinée qui, au fond, ne peut jamais être choisie quand bien même la destination (le pays d’exil) le serait. Leur sort est alors livré aux soubresauts orchestrés à leur insu par l’inconscient. Je ne sais pas si ces Noirs sont nombreux en France, mais je sais qu’il en existe au moins un, dont je vais vous conter cursivement la dramatique histoire. Je ne peux malheureusement pas vous donner la référence précise de ce que je vais vous dire (qui remonte à un souvenir de près d’une vingtaine d’années) ni le nom de la station de radio que j’écoutais ni la date ni le nom de l'analyste que j’entendis. Je conduisais et ne pouvais pas noter. Donc, en circulant en voiture une après-midi, j’ai entendu un psychanalyste raconter ce qui était arrivé à un Africain vivant en France. C’est assez riche d’enseignements tout en étant profondément tragique. L’enfant de cet homme, un petit garçon d’environ neuf ans (je crois), travaillait mal à l’école française. L’analyse a révélé que l’échec de l’enfant venait d’un trouble inconscient de sa relation avec son père, lequel était lui-même rongé par un conflit intérieur inconscient : ce père avait refoulé la conscience douloureuse d’une dette à l’égard de l’Afrique de la mort. En effet, le père de cet expatrié est mort en Afrique mais il ne s’était pas rendu à ses funérailles africaines. Entendez : il n’était pas allé enterrer son père symboliquement et selon la tradition, selon le rite de la mort de son ethnie. En quelque sorte, il n’avait pas encore enterré son mort et cette absence de deuil était culturellement, ethniquement, une faute, origine d’une culpabilité inconsciente. La révélation de ce conflit a été suivie d’un retour cultuel « au pays natal » pour l’accomplissement des paroles et des actes du deuil « africain » de cet homme. S’étant réconcilié, en Afrique, avec la mort, cet homme s’est réconcilié avec la vie. Les nouveaux « cahiers d’un retour au pays natal » des Noirs de France sont faits de ces trous noirs qui, comme les « trous noirs » des espaces sidéraux, sont des absorbeurs gourmands d’énergie. Ce père ne pouvait rien transmettre à son enfant parce qu’il n’avait pas encore reçu tout d’Afrique. Il croyait avoir (il travaillait, recevait un salaire, etc.) mais il n’avait pas l’essentiel : l’africanité ancestrale de la vie et de la mort : il lui manquait le symbolique anthropologique de la mort, condition de la paix de son âme. Il ne savait pas que, parce qu’il n’avait pas fait son « travail de deuil » africain complet, la mélancolie avait inconsciemment parésié son élan vital et nui à la transmission générationnelle. Il en a été de cet Africain comme il en est aujourd’hui de beaucoup de Noirs de France, lesquels ont d’autres souffrances que celles que prétend guérir un parchemin législatif qui, en mai 2001, commémora partialement une très lointaine « traite négrière ». Ils sont malheureux en terre française parce qu’ils ont mal à leur terre ancestrale. L’absence de cette terre avait inconsciemment épuisé toute l’énergie de ce père et celle de son petit garçon. Le père, sans le savoir, avait mal à l’Afrique. Son « pèlerinage » au pays les a ressourcés tous les deux. Le père fut guéri d’Afrique. L’enfant fut ensuite guéri de son père. Il travailla bien à l’école française. Quand vous entendez cela, vous avez davantage envie de pleurer et de compatir que de crier « Vive le CRAN ! ». Singulière, cette douleur du père et de l’enfant n’est pas politique : elle est au-delà de la lutte des classes et de la lutte des races. Même si les rites de l’inhumation ou de la crémation reflètent l’étagement des classes sociales, on ne saurait nier qu’en tant qu'ils sont des signifiants premiers de la culture, la mort anthropologique et le deuil ne connaissent pas de classes, auxquelles ils s’imposent comme une contingence qui accompagne nécessairement le décès d’un homme. On ne peut pas dire que c’est parce que ce père et son enfant sont noirs que leur est arrivé ce tourment. Ni dire que c’est parce qu’ils sont immigrés. Ni que c’est parce qu’ils appartiennent à la « minorité visible ». Non, ces Noirs connurent cet état par un fait de culture qui leur échappe, les a déterminés psychiquement et échappe à la France. C’est pourquoi entre race et culture, je choisis la culture. La douleur que je viens de rapporter échappe, par conséquent, à la discrimination (fût-elle raciale) vécue ici ou là. La thérapie de la « discrimination positive » raciale ne peut donc point la guérir. J’exprime ma dette envers ce psychanalyste qui exposa ce savoir concluant. Aujourd’hui où la psychanalyse est tant galvaudée -(on se gave à tout bout de champ, à la radio ou à la télévision, de simulacres de psychanalyse des pédants à la manière des médecins de Molière)- et tant menacée par des pamphlets artificiellement façonnés, dépourvus de toute rigueur scientifique, il est utile de signaler les « miracles » (un mot d’une de mes élèves) dont elle est souvent capable. Ce cas « africain de France » en est l’illustration admirable.



Aucune anamnèse de « la traite négrière transatlantique », aucune « transversalité », aucun communautarisme ne peut accomplir la catharsis précédente. De même, il n’est pas certain qu’une loi mémorielle eût pu être d’un grand secours à cet Africain et à son petit garçon. Avant que le microcosme noir ne se mette à désirer pour eux ou à désirer ce qu’il imagine qu’ils doivent désirer, un bilan doit d’abord dire ce qu’ont ou n’ont pas les Noirs de France d’aujourd’hui, de quoi est faite leur absence de chez eux, de quel degré les paralyse la privation du symbolique. Kwame Nkrumah a dit jadis ce qu’ont, au fond d’eux, les Noirs et l’Afrique, à savoir « leur gloire ancienne, la grandeur ancestrale, le génie demeuré intact, le pouvoir de rétablissement de la race ». Quand elle est hors de chez elle, que reste-t-il de cette « belle âme » africaine, pure ? Les Noirs de France l’ont-ils encore ? En tout cas, ce n’est pas le « don » fait par l’Assemblée nationale française d’un texte de loi (loi Taubira) qui réhabilitera ce « pouvoir de rétablissement de la race ». Que les Noirs d’Afrique rendent donc opératoire ce pouvoir caché au fond de l'Africain et déchiffré par Kwame Nkrumah à l’époque des Indépendances. Mon avis est qu’il ne faut pas attendre de la « discrimination positive » l’offrande de cette tâche que les Noirs doivent accomplir seuls. Le travail, l’effort, parfois le sacrifice seront les moyens de la transformation du fatum et aideront à ce « rétablissement de la race ». Alors seulement les Noirs de France seront parce qu’ils auront et par ce qu’ils auront (ré)inventé. Au travail ! Tel est l'appel urgent du présent.



Comme vous pouvez le comprendre, pour nous, les Noirs qui vivons en France et qui sommes des descendants d’esclaves et de colonisés, le présent historique n’est pas fait de mémoire mais de tourment, c’est-à-dire cette conscience tragique d’une solution de continuité entre la mémoire inconsciente et l’actualité exigeante. Freud, dans les conférences publiées sous le titre Cinq leçons sur la psychanalyse, écrit que « Les hystériques souffrent de réminiscences », donc de leur passé. Les Noirs de France, eux, souffrent de leur déchéance présente. La légitimité de ce qu’ils doivent apporter à eux-mêmes et à la France est fondée sur l’action quotidienne et originale, non sur la mémoire, qu’ils ont perdue, non sur le catéchisme d’une souffrance passée qui ne peut plus être aujourd’hui qu’esthétique. Certes tous ces Noirs de France qui sont nés loin d’ici ont mal à leur pays. Les Noirs exilés (Français ou étrangers de France), souffrent de lacunes de transmission de la tradition. Telle est leur étrange étrangeté, qui se cache au fond d’eux. Cette étrangeté n’est pas noire mais tout simplement humaine. Elle est ineffable et échappe au concept. Le discours indirect de l’inconscient a permis à la psychanalyse de la saisir dans la solitude du divan, en la faisant nommer par ce Noir que tourmentaient les formes variées de l’exil. Mais est-ce suffisant pour conclure que tous ces Noirs qui souffrent d’une présence prégnante de l’absence du « pays natal » forment une masse homogène par le seul fait qu’ils sont nés noirs ? Je réponds non, car, œuvres d’histoires particulières, parcours et récits de vies individuelles laminées par l’éloignement de leur terre, les protocoles d’existence que les Noirs déroulent en France sont singuliers et non interchangeables. La typologie qui précède vaut alors argument pour demander qu’on nous laisse tranquilles et qu’on cesse de forcer tous les Noirs de France à se voir d’abord comme Noirs et seulement noirs, surtout à se voir en Noirs formatés par les idéologies du microcosme noir, avant de se voir en hommes. Je résume donc notre point d’arrivée cet après-midi : À considérer la connaissance vraie des hommes et des choses, il n’existe pas, en France, un monde noir unique mais plusieurs mondes noirs qui sont autant de singularités déposées sur les rives fragiles du temps par la complexité de l’histoire (collective ou individuelle) et de la politique.



5) Avant de conclure cette conférence, je voudrais prolonger ces commentaires sur la typologie des Noirs de France en ajoutant une ultime remarque. On sait que l’émigration massive des Noirs du « Sud » vers la France (métropolitaine), en particulier, et vers le « Nord », en général (l’Europe, le Canada, les USA), ne remonte guère au-delà des années 1960. L’émigration vers la France commença, me semble-t-il, avec « les balayeurs sénégalais », expression qui cacha, à l’époque, un jugement versatile des Français « métropolitains » à l’égard de ces premiers Africains, nouvellement indépendants, qui venaient « contribuer au développement de la France » ou « manger le pain des Français », c’est selon (si vous voulez en savoir plus, écoutez Lili, la chanson de Pierre Perret…). Balayeurs noirs, ouvriers noirs, techniciens noirs, étudiants noirs, patrons noirs, cadres noirs, sont aujourd'hui légion en France (voir plus haut). Mais ils sont historiquement « jeunes » en France et n’ont pas encore produit d’héritage économique, politique et social, même si l'héritage esthétique négro-africain semble installé dans le paysage français. En quarante ans de présence, les Noirs de France ne pouvaient pas faire de miracles économiques, sociaux et culturels. D’où : ils n’ont pas encore engendré des « héritiers », au sens de Bourdieu & Passeron. Il est alors facile de déduire et de comprendre que la majorité de la « minorité visible » noire actuelle ne puisse pas combattre à armes égales avec la fraction blanche de la nation, dont elle est (ou se sent) aujourd’hui objectivement et légitimement la concurrente intellectuelle, économique et sociale. C’est là, en fait, l’ultime aspect du problème de la transmission : les Noirs de France du début du XXIe siècle ne sont pas en mesure d’exhiber l’héritage français noir spécifique (si tant est qu’il puisse en exister un qui soit spécifiquement noir dès lors qu’il est français) dont ils seraient les auteurs et qu’ils auraient transmis à leurs descendants. Par exemple, ils n’ont pas encore produit économiquement et socialement une bourgeoisie « noire » française ou de France qui serait en mesure de transmettre toutes les formes de sa propriété et de ses acquis (« noirs » ?). Mais je dois avouer que, pour moi, une bourgeoisie, à l’intérieur d'une nation, n’a pas de couleur de peau, sans que pour autant je puisse admettre la maxime politique qui attribue une identité historiciste et universelle aux bourgeois et aux prolétaires « de tous les pays » : les histoires des classes sociales sont des héritages singuliers de leurs nations. Althusser a eu le temps de nous apprendre que le « tout concret et vivant déjà donné » (Marx) est toujours historiquement complexe et surdéterminé.



De même, et plus important encore, une bonne partie de la première immigration noire des années 60 était analphabète et illettrée. Or la France est une nation fortement élitiste, qui élague par « les lettres, les sciences et les arts », autant de domaines dans lesquels aucune singularité ne peut surgir, s’installer, durer et dominer si, comme on parle de figures imposées dans une compétition de patinage artistique, elle n’a pas suivi certaines voies imposées de l’avoir, de l’être et du paraître français. L’école républicaine et l’instruction publique, en leurs trois niveaux (primaire, secondaire et supérieur), sont la voie commune, élémentaire et obligée de ce processus qui, en France, consacre la position d’élite de droit (par l’instruction) puis d’élite de fait (par la fonction politique). Parce que, par la force des choses, l’immigration des années 60 ne pouvait pas emprunter ces voies de l’élitisme français, elle n’avait rien de « français » à transmettre. Là est son manque originel, le déficit d’actes qui l’a déterminée ; qui l’a « plombée », en quelque sorte. Il m’est alors permis de faire la remarque suivante : ce n’est pas un hasard si ceux (le CRAN et d’autres) qui aujourd’hui posent - même mal - la « question noire » sont, comme on dit avec inexactitude cependant, des « immigrés de la deuxième génération », laquelle commence, en quelque sorte, à posséder assez d’avoir élitiste, d’être élitiste et de paraître élitiste « français » pour se présenter tumultueusement sur la scène politique, intellectuelle, sociale ou « médiatique » et réclamer sa part légitime de l’héritage français. Et seulement français ; dire que c’est noir est éminemment fallacieux. Bien qu’ils ne soient pas tous des enfants d’immigrés, au sens politique et juridique de ce mot, Christiane Taubira, Fodé Silla, Louis-Georges Tin, Patrick Lozès … sont des produits sociologiques de leur temps et de la conjoncture française complexe de l’immigration. Leur battage idéologique est un écho d’une certaine histoire, un vœu du temps présent, et n’était pas possible avant que ne leur vinssent le rôle et le statut d’héritier (toujours au sens de Bourdieu & Passeron). Mais c’est un écho parasité d’effet Larsen ! Car paradoxalement, s’ils injectent tapageusement le passé dans une actualité qui va plus vite qu’eux, s’ils clament leur différence « noire » comme fondement d’une argumentation politique, c’est parce qu’ils ont déjà quelque chose de français, et de « blanc », à réclamer. Finalement leur réclamation n’a rien d’authentiquement « noir » mais colorise de noir ce qui n’est que sociologiquement « blanc français ». Car après tout, derrière la « question noire » qu’ils posent se trouve plutôt la réclamation, consciente ou inconsciente, rationnelle ou pathologique, de leur part politique française - enfin venue - d’adolescence économique et sociale. On voit, par cette remarque, que la mise en avant aujourd’hui de la « question noire », en France, par ces élites de fait est elle-même idéologique : une autre demande s’avance masquée derrière l’apparent classicisme de l’expression « question noire ». Il y a là un déplacement idéologique remarquable ! Je dirai donc que, lorsque cette part « noire » française ou française « noire », c’est selon, sera significativement et définitivement gagnée par le travail, l’effort et le mérite, alors la race sera vêtue de classe, la classe sociale sera vêtue de culture et les Noirs de France seront « gauloisement » adultes. Il n’y aura plus de « question noire » mais une classique question sociale française, et seulement française (peut-être européenne, si l’Europe n’implose pas), une question sociale faite de la lutte des nantis blancs et noirs versus des laissés pour compte noirs et blancs. Imperceptiblement, les Noirs de France du XXIe siècle, et suivants, seront riches, cultivés, pauvres, déshérités, sans être vus noirs. Ils seront aussi députés sans être vus noirs, professeurs sans être vus noirs, présentateurs de télévision sans être vus noirs. La fonction seule fera signe et l’habit de la fonction fera le Noir.



Mais voyons ! À propos, y a-t-il, en France, des « bo-bo » (bourgeois bohêmes) noirs ? Si la réponse est affirmative, alors de qui se moque-t-on, quand on dit que « la France n’est guère prête à aider les populations noires qui sont pourtant largement discriminées » ?







CONCLUSION :






La question que j’ai proposée comme titre de cette conférence : Qu’est-ce qu’être Noir, en France, à l’aube du XXIe siècle ? peut à présent recevoir une réponse. Être Noir en France, à l’aube du XXIe siècle, ce n’est pas être un Noir commun, un Niger niger, comme aurait dit un taxonomiste, mais être Noir, c’est être rendu visiblement noir par les discours et les actes simplificateurs de quelques Noirs. J’ai voulu intituler cette conférence : « Comment peut-on être Noir ? » (Avec les guillemets qui signaleraient un emprunt que vous reconnaissez…). Mais je n’ai pas osé cette familiarité voire cette parenté avec l’auteur des Lettres persanes. Je n’ai pas voulu entendre les commentaires et persiflages de la salle, du genre : « Usurpateur ! ». « Pour qui se prend-il ? ». « Il se prend pour Montesquieu maintenant ?». « Et puis quoi encore ? », etc. Eh ! bien, j’ose quand même : Comment peut-on être Noir ? La réponse est laconique, j’allais dire déroutante, tant elle est paradoxale : Dans la France incertaine du début du XXIe siècle, un homme est Noir aussi dans le regard de quelques Noirs. Souvent il n’est noir que dans le regard de Noirs, ceux qui, dans leurs discours ou leurs écrits, ne cessent de le montrer noir, « minorité visible ».



Noir, je suis donc effectivement cerné, encerclé, assiégé par des regards noirs, qui m’assignent à résidence identitaire de Noir. Parce que le microcosme noir en a besoin pour son confort idéologique et ses intérêts, je suis commis de me comporter en « Noir », puisque je sais que je suis un Noir, et de me justifier comme « Noir » et noir, de me conditionner pour être vu « Noir » sans être autre que noir. C’est paradoxal, mais la France mérite mieux que ce faux problème. Comble de paradoxe : ce sont des Noirs qui montrent les Noirs aux Blancs, à qui ils disent : Voyez ces Noirs, ils existent en tant que Noirs et parce qu’ils sont Noirs. Faites quelque chose pour eux, les pauvres, incapables qu’ils sont de se faire tout seuls et de se délester du plomb de leur négrité. Ils sont là, patients, inertes, et attendent votre générosité de Blancs. Donnez-leur un peu de discrimination positive. Les Senghor, les Césaire, les Damas, les Jean Price-Mars n’ont - heureusement ! - jamais quémandé cette générosité raciale blanche. Le paradoxe continue : moi qui suis noir, je ne suis pas cerné par des Blancs mais par des Noirs, qui me rappellent que je suis noir et qu’ils se chargent de le dire aux Blancs (aveugles) à ma place. C’est ce que veut l’ego embusqué de ces Noirs « parisiens » qui, parés d’esthétique ou vernis de rhétorique, sont à l’affût de la gloire et du pouvoir. Parce qu’une minorité de Noirs l’a imaginairement inclus dans une minorité pigmentairement damnée, héréditairement fichée de seconde zone, le Noir de France du début du XXIe siècle est même sommé de se sentir laissé pour compte (puisqu’il doit attendre l’aumône de la « discrimination positive »), de « faire le Noir » en quelque sorte, par exemple, cagoulé et casseur, dans quelque banlieue, bref de jouer l’éternel ségrégué de service.



Il est donc en France aujourd’hui un type d’êtres humains, dont je fais partie, qui est assiégé par des discours qui le condamnent à une existence imaginaire d’homme noir « visible », d'organisme non génétiquement modifiable, comme si l’être de culture ne s’était pas substitué à l’être de nature (la couleur de la peau). Cette assignation à résidence identitaire est scandaleuse. En tout cas, je la récuse. Le délire obsidional dont je vous entretenais au début de cette conférence existe bel et bien : je suis assiégé par des regards de Noirs qui, depuis les sphères de la représentation (« media ») ou de la décision politique, me disent comment je dois me préparer à être vu Noir dans le regard des Blancs. Un regard qu’ils font vieux de l'âge baroque et qui m’enserre aujourd’hui dans une mémoire de scène, comme si le temps de l'histoire s’était arrêté.

  • * *


J’ai commencé cette conférence par des remarques sur les jeunes Noirs de France et leur école. Je la terminerai par l’école. Le mérite du « mode » français, c’est son école républicaine gratuite. L’école est obligatoire aussi. Certains parents ne doivent pas l'oublier. Que l’école soit laïque, c’est là une haute spécificité du mode français, spécificité strictement endogène qui, après cent ans, n’a cependant pas encore entièrement reçu une place identifiée, stable et définitive au sein de ce mode. Des pressions religieuses, dont certaines sont récentes, viennent très souvent brouiller les cartes de la laïcité et la faire douter d’elle-même. Quoi qu’il en soit, le mérite de l’école, c’est la convergence nécessaire voire la connivence entre l’égale ouverture proposée aux talents des enfants et l’effort que ceux-ci acceptent de consentir pour y expérimenter et parfaire leur talent natif. Alain a écrit que « tout homme doit être pris premièrement comme un génie universel ». Ce grand philosophe a raison. J’ai toujours accueilli mes élèves par ce regard humaniste. D’ailleurs autrement, me semble-t-il, « c’est un peu Mozart assassiné ». Le même humanisme accueille, chez Saint-Exupéry, l’enfant de par la terre entière et, chez Montaigne, l’Indien « peuple enfant » des Amériques. Dans les deux cas, le devoir veut que l’on sauve l'Homme, dans son innocence ou dans sa différence.



L’école française est donc ordonnée à la maxime tirée de la citation d’Alain. Mais quand elle accueille les enfants in situ, cette école ne postule cependant ni le génie magnifique (dont rêvent beaucoup de parents d’élèves) ni le cancre absolu (que certains maîtres imprudents diagnostiquent précocement et péremptoirement, par conséquent, de manière erronée). Notre école adopte simplement une posture attentive mais active par laquelle elle instruit, sans avoir premièrement comme autre but que la mise en œuvre des moyens qui in fine révèlent et confirment la puissance et la diversité des talents des enfants-élèves. Évidemment, cette école ne voit aucunement la couleur de la peau de l'enfant qu’elle accueille. Par sa définition autant que par sa mission et sa pratique, l’école française ignore le racisme. Elle fait seulement appel à des vertus morales qui sont comme ses corollaires d’ignition du devenir de l’enfant : ces vertus ont pour nom le courage, l’effort, l’abnégation, le recouvrement de la peine, le désir de connaître. Elles sont à la fois le signe et la condition du mérite et de la réussite de l’enfant. Et chaque fois que l’école s'écarte de sa définition ou n’atteint pas sa mission, chaque fois que l’école faillit, ce n’est jamais sa faute, vu qu’elle n’est qu’un moyen, mais c’est à cause d’addenda mesquins dus à des politiques (politiciens et actions) de courte vue, des politiques comptables qui, pièces rapportées d’idéologies variées, la réajustent à vue ou la rafistolent sur le mode du bricolage du dimanche. C’est aussi dû à cette phase récente de l’histoire de l’école que couvre l’effervescence du pédagogisme et de l’enseignement « hors sol », ce stade éminemment idéologique où l’on voit des intellectuels se faire « pédagogues » en livres et de livre. Ceux-là se font plaisir en faisant de l’école une fin en soi et de l’élève un être désincarné de laboratoire, c’est-à-dire cet inconnu si « beau » et inconditionné qu’il n’est de nulle part, si ce n’est dans la tête ou le livre du pédagogiste. Des extravagances insouciantes de tel ministre de l’Éducation nationale en mal de plaisir populiste peuvent parachever le détournement de l’école de sa mission dans les échanges. Il n’empêche cependant, la conséquence désirable des valeurs rappelées précédemment, lorsque l’école convient à sa fin, peut s’appeler formation intellectuelle ou, tout simplement, instruction, c’est-à-dire l’avoir d’homme, cumulé, de l’enfant en devenir de citoyen. En effet, puisque l’homme vit en société et sous régime d’échanges, il ne peut pas être ou paraître sans avoir, il ne peut pas non plus recevoir sans donner ou avoir donné. Ma pratique de l’école française me pousse à dire qu’elle s’adosse à cet échange primordial. Dès lors, le discours idéologique construit sur les Noirs de France par un petit nombre de Noirs de France apparaît comme un habile écran de fumée qui veut cacher la réalité et la vérité incontournables du mode français d’inscription de l’homme dans le mouvement de la Nation, à savoir la fonction non raciste de l’école et le mérite que celle-ci attend de tous les enfants pour modeler la plasticité de leur talent. Mais la réalité et la vérité sont comme les ludions des cours de physique ou les bouées de signalement de danger qui dandinent sur la mer parce que, ne restant jamais sous l’eau, elles en jaillissent toujours spontanément et de leur propre force. La vérité et la réalité du mode français surgiront et survivront aux artefacts idéologiques fabriqués par le microcosme noir. Que la France continue de proposer l’école républicaine à ses Noirs et à tous les enfants de toutes les couleurs qui « poussent » sur son sol. Quant à nous, parents noirs, scolarisons nos enfants. Aux jeunes noirs de France, je dis : N’écoutez pas les idéologues du microcosme (noir ou renforcé d’autres couleurs). Assumez-vous en tant qu’hommes, tout simplement, soit comme Français, soit comme Européens, soit comme « Étrangers de France ». Apprenez, apprenez et apprenez encore ! Gavez-vous joyeusement de savoirs et de savoir-faire, eux qui sont sans couleur et sans odeur mais qui ont la saveur de la liberté, laquelle est toujours au bout du chemin de la connaissance. Jeunesse noire de France, acceptez les peines et les plaisirs de l’école. Citoyen noir (j’accepte provisoirement cette expression mal formée) et, de surcroît, professeur, c’est ce peu éducatif que, ce soir, je vous demande ou vous conseille. Le reste viendra par surcroît.

Castel JEAN

Meaux, le 09 mai 2006


Le post scriptum :

Le 19 juin 2007, 12h14

Après la publication de cette conférence sur Internet, le 9 mai 2007, et au lendemain des différentes élections françaises, une observation majeure m’a semblé s’imposer à ceux qui partagent les vues défendues dans Qu’est-ce qu’être Noir, en France, à l’aube du XXIe siècle ? :

- Nicolas Sarkozy, un fils d’immigrés européens, a été élu Président de la République française, le mois dernier.

- Rachida Dati, une fille de l’immigration maghrébine, dirige depuis un mois un ministère régalien, en France.

- Rama Yade, une fille de l’immigration africaine, a été nommée ce matin Secrétaire d’État aux Affaires étrangères de la France.

On ne va pas me faire accroire que Sarkozy est là où il est, dans les lambris du Palais de l’Élysée, par « discrimination positive ». On ne va pas me faire accroire que Rachida Dati est au rang de ministre de la République par « discrimination positive ». On ne va pas me faire accroire que Rama Yade est au rang de Secrétaire d’État par « discrimination positive ». Ils doivent ce qu’ils sont à ce qu’ils ont acquis et conquis par le courage, l’effort, l’abnégation, le talent (voyez l’intervention de Rama Yade, dimanche dernier sur TF1) et le mérite. Je m'avance et parie : aucun parti politique démocrate qui gouvernera la France n'osera désormais "faire moins". Certes, je sais qu’un grand disert d’extrême droite n’a pas eu scrupule ni retenue -même après les lois nazies de Nuremberg- d’aller fouiller dans l’arbre généalogique de Nicolas Sarkozy pour y dénicher sa « perle » de l’année politique, son argument électoral de mise à mort de l’adversaire, à savoir… le nombre très précis de grands-parents étrangers de l’actuel Président de la République française. Comme quoi, même un immigré européen (hongrois) ne serait pas soluble dans la francité que ce grand disert appelle « de souche ». Voire ! Ça me fait penser de nouveau au jeune Noir « exotique » de l’émission de Paul Amar (voir le nœud Mon blog intégré au site de la barre principale de navigation de ce site)… Mais malgré la « perle » que je viens de rappeler, il demeure qu’à regarder ces « visages » (c’est là une citation) différents qui nous gouvernent désormais, en France, je sais une grande chose : c’est que ces succès saillants -désormais incontournables et irréversibles- de l’immigration inaugurent l’invalidation (que j’attendais) de la thèse de ceux qui soutiennent la « discrimination positive » - ainsi que sa condition et/ou son corollaire : le comptage ethnique - comme moyen de mettre fin au racisme et à la misère des « minorités visibles » (quand bien même Nicolas Sarkozy ne relèverait pas de la catégorie « minorité visible »).

Je pourrais tirer argument de ces observations et dire que j’ai raison de soutenir le contenu de la conférence que vous venez de lire : ce qui fait un homme, ce n’est pas la couleur de sa peau ni son prétendu attribut d’être un « descendant d’esclaves », mais c’est ce qu’il a et est, compte tenu de ce qu’il a fait de lui. Je n’ai cependant pas le droit d’avoir raison contre le « mieux disant » microcosmial. Jadis Raymond Aron n’avait pas le droit d’avoir raison contre Sartre. (Sans prétention…).

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